Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 13 septembre 2022

LES PETITES RUSES DU RÉCIT

     Dans le récit qui est proposé de la crise d’Evergreen en 2017 l’auteur de Panique à l’université considère qu’attribuer les événements aux délires de la gauche radicale paraît à tout le moins « simpliste et réducteur » et « au pire fallacieux et malhonnête » (p. 183). Il rappelle en effet les témoignages de Weinstein devant la Fox qui a maximalement instrumentalisé la crise ; les menaces d’un tueur (la gangrène du communisme, etc.) ; l’évacuation du campus (pendant deux jours) par la police ; les représailles de groupuscules nazis et les ripostes antifas. Le contexte hystérisé est inexplicable, comme le souligne avec pertinence Dupuis-Déri, sans les premiers mois de la présidence de Donald Trump. Mais là encore, la stratégie de narration laisse à désirer. Aucun élément sur les sources pour commencer, des archives vidéos de l’australien Mike Nayna (I. Bret Weinstein, Heather Heying and the Evergreen Equity Council ; II. Teaching to Transgress ; III. The Hunted Individual, 2019) au mémoire de Shaun Cammack, The Evergreen Affair: A Social Justice Society, University of Chicago, 2020. Rien non plus, par-delà les détournements populistes et démagogiques, sur le fait que nombre d’observateurs américains considèrent précisément cette crise comme « atypical ». Culture locale, même si on y retrouve nombre de traits du courant dit woke. L’élément déclencheur aurait été le refus de Weinstein de participer à une journée de sensibilisation sur le racisme. Double raccourci : il sagit du Day of Absence, qui célébrait d’abord l’absence des BIPOCS sur le campus, soulignant ainsi leur importance au sein de la communauté ; or ce que contestait Weinstein, c’était plutôt l’inversion des codes décidée par la nouvelle administration : les Blancs devaient désormais quitter ce jour-là l’université et non les people of color. Pas le principe de sensibilisation en soi. Par ailleurs, comme Weinstein s’en est expliqué à plusieurs reprises, le drame a éclaté non pas tant en raison du Day of Absence que des nouvelles orientations données par le président George Sumner Bridges et son comité EDI, qui mettaient à mal le modèle « liberal » du college. Au bout du compte, Weinstein est seulement « chahuté et traité de raciste » d'après DD alors que des groupes d’étudiants ont patrouillé avec bâtons de base-ball pour le retrouver sur le campus par exemple. Sans parler des menaces et insultes verbales. Chahut : tout un campus ? DD précise enfin qu’après avoir porté plainte contre l’université Weinstein a pu témoigner devant le Congrès. Il aurait obtenu gain de cause en cour avec 500 000 $ US de dédommagement. Autre inexactitude à relever : Bret Weinstein a perçu 250 000 $ et son épouse, elle aussi professeure de biologie, Heather Heying, une somme équivalente. Dautres collègues ont quitté le navire. Un élément présumé dans ce narrative est que Weinstein est du côté du dominant – le mâle-hétérosexuel-blanc. Or au sens étroit Weinstein est d’ascendance juive, et cet argument a été précisément utilisé contre lui. Il lui est notamment reproché de jouer à la victime, pour se défendre du racisme dont il est accusé. Une critique qui est partie des militants juifs eux-mêmes : A Letter to Bret Weinstein from Some Jews Bent on the Destruction of White Supremacy (7 juin 2017). Avec quelques contorsions sophistiques en prime : « However, the fact that Jews have not always been enmeshed in whiteness does not negate the fact that today many Jews in this country benefit from and uphold white supremacy. » De quoi nourrir certains lieux communs de l’antisémitisme de gauche. Curieuse impasse quand même, alors qu’on est immergé dans le paradigme identitaire. Le paragraphe se conclut sur l’après-Evergreen – notoirement les positions publiques prises par Weinstein contre les campagnes de vaccinations au moment de la COVID-19. Ce qui est incontestable, mais dans un contexte où la question pandémique a été hyper-politisée, cette stratégie d’insinuation tend évidemment à assimiler de manière implicite lantivax et lantiwoke, liant cette double attitude aux idéologies de droite. Rusé.