Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 5 septembre 2022

L'AIR DU TEMPS

    Livre consternant de Francis Dupuis-Déri, Panique à l’université (Lux, 2022). À grands renforts de publicité et de coups de communication, on assiste à la fabrique de la doxa. Ce que vous vouliez entendre et qui chante l’air du temps. En 300 p., une thèse unique, la « panique morale » de Stanley Cohen : le phénomène woke et la rectitude politique seraient pour l’essentiel une construction des rhétoriques réactionnaires et des populismes identitaires de droite. Ce qui est très loin d’être faux : cette instrumentalisation est à l’œuvre aux États-Unis, au Québec et en France. Mais c’est l’objet unique du livre : des polémistes dont – à compter certains coups de griffe donnés à gauche (sans que cela conduise à une analyse des thèses en présence), Normand Baillargeon en particulier, la catégorie devient tout à coup extensive et tend même à binariser le paysage idéologique. Progressistes vs réactionnaires. Multiculturalistes vs monoculturalistes… Les woke ne seraient qu’un triste épouvantail (ce que reprend la sémiotique de la couverture, le motif d’un épouvantail y est répété). Les woke représentent en fait un révélateur de l’extension des droites. Ce qui est incontestable et pertinent, mais dissimule d’autant les divisions, concurrences et recompositions à gauche dont la mouvance en cause est précisément l’un des signaux. Ce qui se veut un « exercice de clarification » (p. 62) repose non moins également sur le registre polémique, en vertu d’un ethos humoristique voire ironique – caractéristique d’une posture discursive en surplomb. Cette stratégie fait l’économie d’une argumentation critique et tente de mettre les rieurs et les lecteurs de son côté : c’est l’adhésion à la doxa. S’y ajoute le modèle de la parole professorale : « exercice pédagogique » (p. 34). Les marqueurs de cette ironie ponctuent certains chapitres et les paragraphes au terme des mouvements argumentatifs : « Tels des chiens de garde, ils [les polémistes conservateurs-réactionnaires] ameutent le voisinage : woke ! woke ! woke ! » (p. 32). Ou à propos de Mathieu Bock-Côté, parce qu’il a pris part à une croisière de l’équipe du Figaro, yacht cinq étoiles, cabines allant de 5270 à 17 370 euros : « Je ne sais pas si cette croisière a eu lieu en pleine pandémie de COVID-19, mais juste d’y penser, j’ai le mal de mer. » (p. 296). Au reste, Bock-Côté, de loin l’auteur le plus cité au long de l’ouvrage, est l’une des obsessions du livre. Il tient le rôle d’un métonyme de la pensée conservatrice identitaire et de ses dangereuses déclinaisons. Mais la clausule spirituelle achève également de placer le propos dans le ressenti entre nausée et dégoût. Et ce procédé n’est ni ponctuel ni isolé dans le texte.