Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 5 janvier 2022

"EDID" AU MOYEN ÂGE

      Annonce savoureuse de la Canadian Society of Medievalists pour sa rencontre annuelle de 2022. Un vrai sottisier. D’abord l’acronyme au complet, non seulement EDI, « équité », « diversité », « inclusion », mais EDID, s’il vous plaît, « D » pour « décolonisation ». C’est mieux, surtout s’il s’agit de répondre à la « nouvelle croissance de l'activisme antiraciste, ainsi que le mouvement des droits des trans, #MeToo et une pandémie mondiale », qui ont suscité « un regain d’attention sur la race, le handicap, le genre et la sexualité, ainsi que sur les changements dans les approches académiques de ces sujets. » Le lecteur aura de lui-même établi le lien étroit et profond qui unit cette construction idéologique et le Beowulf ou les romans de Chrétien de Troyes par exemple… Des approches particulièrement révolutionnaires pour le Moyen Âge, on s’en doute, un vrai changement de culture, sachant que « les médiévistes de couleur et les femmes médiévistes ont, souvent à leurs risques et périls, braqué les projecteurs sur la discrimination ancienne et actuelle dans notre domaine. » Dangereuses, les études médiévistiques : « à leurs risques et périls », à l’image des étudiants eux-mêmes qui, face à la terrible dictature du Blanc-chrétien-hétérosexuel-cisgenre, doivent sérieusement raser les murs en se rendant en salle de cours. On considérera ainsi la « race », même si le terme n’a absolument pas le sens actuel. En plus de ce flagrant anachronisme, on visera à décoloniser avant même que les colonisations n’aient lieu, et que l’on puisse parler de colonialisme. Mais comme on le sait, et qu’il faut faire quelques petits arrangements avec l’histoire (d’autres composent bien avec la mort), on suggérera (sur un mode binaire et simpliste) d’examiner comment « la race, le genre, le handicap et la sexualité » sont « représentés (ou mal représentés) et déployés (de manière positive ou négative) dans le médiévalisme populaire ». C’est plus sûr quand même. L’annonce EDID ne traduit pas uniquement le conformisme intellectuel du temps (jusqu’à l’absurde). Elle marque le souci néo-libéral du milieu, le virage enfin utilitariste des humanités (le tournant numérique n’a pas eu l’effet escompté, une autre option se présente). La fonction de ce texte est prostitutionnelle, il s’agit de rendre une discipline ou les sous-segments d’une discipline enfin attirants. Sex it up a little. Faire le trottoir et ameuter le client : « Approche, mon lapin. Regarde sous mes jupes. Goûte. Tu verras. Cest comme une pomme ». Cette démarche racoleuse vérifie la lecture de Justin Sider (In defense of desinterested knowledge) : la justice sociale (enfin : la rhétorique CSJT, plutôt) y sert d’ultime justificatif à des disciplines déclinantes sur le marché du savoir. On ne saurait mieux se suicider.