Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 12 janvier 2022

ANNULER

     Laure Murat, Qui annule quoi ? (Seuil, coll. « Libelle », 2021). Démarche intéressante autour de la « cancel culture », même si elle est prise en vue de la France, selon un curseur déplacé depuis les USA. Il y a le problème philologique (et la traduction, « annulation », « bannissement », sans compter les syntagmes concurrents, qui ne sont pas évoqués, « call-out culture » par exemple) et l’expression issue de l’extrême-droite, telle qu’elle circule dans l’espace public, les usages polémiques qui se la réapproprient enfin. Le propos est centré sur la statuaire, la représentation politique de l’État et la pratique du vandalisme : une économie de la violence inséparable du pouvoir et de ses failles elles-mêmes en régime démocratique (l’État est d’abord celui qui annule – mais est-ce nouveau, et s’agit-il vraiment de cela ?) D’un côté, l’illusion du tribunal rétrospectif, de l’autre la « sensibilité à l’histoire » (p. 11) (et non un ensemble de pratiques incultes) – le besoin de réparer – la logique des injustices. La résistance au texte se localise autour de certaines ellipses : l’historicisation du phénomène (dont la nouveauté est à juste titre rendue relative), une découpe chronologique à opérer ; son extension, le vandalisme et la statuaire y nourrissent la réflexion au détriment d’autres exemples : désinvitation, deplatforming, limogeages, censures des textes, autodafés, demandes de supprimer certains mots (nigger, en premier lieu) des dictionnaires, la corrélation avec la wokeness, qui n’est ni définie ni circonscrite clairement, etc. Dans ce discours s’entendent peut-être aussi une fascination de la gauche (française) pour ces usages critiques, et une ambiguïté autour de « faire l’histoire ». En revanche, la question de la « guerre des mémoires » (p. 14) paraît plus pertinente. Examen critique à poursuivre dans le détail du texte.