Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 17 mai 2019

TOUT A CHANGÉ

Entre le « tout a changé » des pèlerins, les plus âgés qui reviennent sur les lieux, et le « comptoir aux souvenirs », pacotilles et colifichets, on a la parodie du déjà-plus et du trop-tard, sur fond de littérature élégiaque (Lamartine-Verlaine), une mise à distance de la mélancolie. Devant Niagara, on est à rebours des keepsakes romantiques ; à mille lieues de la poétique des ruines, et des rêveries sur la grandeur des civilisations perdues. On se noie dans le kitsch américain aussi. Mais il y a plus : l’économie marchande des souvenirs contient à sa manière l’économie mentale. Les objets quelconques et insignifiants, manufacturés et standardisés, que la société occidentale fait circuler, ne fabriquent pas du durable, moins encore du pérenne. Semblables et périssables par leur matière même, ils ne reconstituent pas le passé, ils l’effacent au contraire. Comme « lieu de mémoire », le monument liquide, sans cesse changeant, de Niagara devient de la sorte l’emblème d’une civilisation de l’oubli, plus exactement du recouvrement par prolifération.