Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 17 mai 2019

PÈLERINS

C’est dans ce contexte que la figure récurrente des « pénitents » embarquant dans « la petite nef » (p. 166) à l’image des fous de Jérôme Bosch (stultifera navis), des « pèlerins jaune d’or » (p. 76), vêtus de caoutchoucs ou de cirés pour affronter « la mitraille de l’eau » (p. 82), prend son sens. Avec Mobile la périphrase, pourtant transparente, est levée : les pèlerins désignent les touristes qui viennent « vérifier » du regard le site, apprécier sa beauté et surtout la correspondance qui l’unit au mythe qui circule à son sujet et lui tient lieu de discours, pour finalement le photographier et « en rapporter l’image chez eux. » (p. 134) Ces pratiquants d’une religion moderne, déguisant les débuts d’une industrie culturelle inventée par la société capitaliste du XIXesiècle, puis lentement démocratisée des classes bourgeoises aux classes populaires, assimilent l’ailleurs à sa représentation et à ses signes comme le réel à son double. Mais Butor ne leur oppose pas quelque esthétique de l’exotisme à l’instar de Segalen ; il accumule plutôt des traits ironiques. Avant de conduire aux « fantômes » (6 810 000, p. 221), de parvenir à « la porte des morts » (p. 226) après avoir franchi le Styx ou bravé « une colonne d’eau du déluge » (p. 231), la nef qui tient à la fois de Charon et de Noé se donne pour la version miniature et dérisoire des caravelles du XVeet XVIesiècle, celles qui emportent les grands découvreurs Colomb, Vespucci, Cartier ou Magellan. À l’échelle d’un détail pourtant aussi élevé que grandiose, les expéditions vers le Fer à Cheval (Horseshoe Falls) du côté canadien, les American Falls, ou le Voile de la Mariée (Bridal Veil Falls) constituent une parodie de voyage en Amérique.