Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 12 mai 2019

TOUR

Dans l’optique de la diction, le point de comparaison pertinent c’est évidemment le commentaire dans Répertoire II des vers de Dieu sur le cirque de Gavarnie, qui amorce la cataracte comme métaphore du débit, du flot, de l’ininterrompu – diction nécessairement monumentale. Or chez Hugo, c’est la goutte d’eau ou « atome de pluie »  la chose infime ou dérisoire qui est « l’auteur » du cirque, qui l’érode, l’use, le sculpte. En même temps, ce cirque est Babel en creux, l’ombre ou l’empreinte d’une tour mythique de l’unité, dont la construction s’interrompt sous l’effet de l’intervention divine par la dispersion des hommes et des peuples, la différence voire la mésentente des langues et des cultures. Or à cause de leur complexité formelle le cirque et ses cataractes sont comparés à un livre, et concentrent l’idée d’une « masse qui croule perpétuellement sur elle-même en s’accroissant » (Répertoire II, p. 212). Entre Gavarnie et Niagara, la goutte d’eau rapporte ainsi la dimension de l’épopée à la « monumentalité du livre » (p. 238) en instaurant l’unité en devenir d’une « énorme œuvre inachevée » sous l’espèce de tensions continues entre de nouvelles « esquisses » et des « vides » (p. 213) multipliés. Cette utopie, le livre comme œuvre inaccomplie et différée, éclatée et impossible, est la modernité même telle que la conçoivent les années soixante. Mallarmé-Blanchot, etc. Mais elle a une incidence plus concrète dans l’économie interne des textes de Butor. Babel, Gavarnie ou Niagara sont autant de variantes, puisées dans l’encyclopédie de la culture ou de la nature, de la tour écroulée sur laquelle se concluait le cinquième et dernier roman Degrés, avec son point obsessionnel qu’est la leçon pivot sur la découverte et la conquête du Nouveau Monde – tour qui devait être celle d’où l’on devrait précisément voir l’Amérique…