Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 11 mai 2019

HISTOIRE D'UNE GOUTTE

Si je fais la synthèse sur cette goutte d’eau, qui tient à mon avis l’épopée du détail, il ressort au moins ceci qu’elle déplace le rapport de l’épique et de l’immense. Ce qu’elle corrige en premier lieu, ce sont de possibles défauts de perspective, le grandissement par l’amoindrissement, le macroscopique par le microscopique. Il reste que la goutte est l’acte même de détailler, le geste qui réduit à l’élément simple, minime voire mineur, et désigne aussi probablement une autre limite du visible. Expression de la petite quantité, voire de la quantité nulle, au point qu’elle a pu servir de marqueur de négation dans la langue (cf. n’y voir goutte, ne comprendre goutte – comme les marqueurs substantivaux mie, pas ou point), la goutte prend sa source dans Mobile avant de s’élargir en volume et en masse dans 6 810 000 litres d’eau par seconde en prenant la forme des chutes du Niagara. Métaphore de la lecture ? Pas vraiment, c’est d’abord le paradoxe entrepris par l’auteur. Dans l’économie géographique d’ensemble, l’étude stéréophonique de la cataracte, de l’avis de Butor lui-même, n’est qu’un ajout à Mobile intégrant « de nouveaux éléments de détail » (Entretiens, t. I, p. 298) saisis à un lieu frontière entre le Canada et les États-Unis. Si l’on veut, 6 810 000 litres d’eau par seconde représente un détail grossi à la dimension d’une œuvre, qui donne lieu à un calcul savant de nature humoristique, fondée sur la disproportion entre mesures de capacité et mesures du temps. Alors que dans Mobile ce débit est très loin d’être atteint encore et n’existe au mieux qu’en devenir : la goutte d’eau en est certes l’unité originelle mais figure d’abord comme détail parmi d’autres détails, presque en marge. Le « monument liquide » de Niagara se prête assurément à une métrique et à une statistique. Mais la goutte n’est pas le litre. Dans Mobile, elle est sinon décomptée du moins comptable, ou mieux isolable : elle appartient encore, par conséquent, au régime discontinu de l’innombrable.