Encore Barthes – à l’honneur, décidément.
Plaisir de relire ce commentaire si juste, à propos des Problèmes de linguistique générale : « Les livres de savoir, de
recherche, ont aussi leur “style”. Celui-ci est d’une très grande classe. Il y
a une beauté, une expérience de l’intellect, qui donne à l’œuvre de certains
savants cette sorte de clarté
inépuisable, dont sont aussi
faites les grandes œuvres littéraires » (Le Bruissement de la langue, Seuil, 1984, p. 193). Bien sûr, il y subsiste cet aspect urticant :
même entourée de guillemets, marquant à la fois l’inexactitude et la
transposition d’un champ discursif à l’autre, la notion de style – que double
la logique de distinction – « très grande classe ». La parole du
chroniqueur. La valeur dans ses usages mondains, je trouve. Le journalisme
culturel, effet Quinzaine littéraire. Mais la corrélation entre « beauté »
et « expérience de l’intellect » condense une direction aussi
simple qu’efficace. Elle pourrait être transférée aisément au domaine de la
philosophie qui s’occupe de créer spécialement des concepts. Enfin « cette
sorte de clarté inépuisable » qui tente de saisir au moyen de la
comparaison approximative une qualité majeure du discours, sinon systémique, d’autant
plus difficile du fait de son omniprésence à classer et à décrire. Non pas un attribut
ou une propriété du « style ». Encore moins la clarté de la « langue »
– française (il va sans dire…). Mais ce qui a la force de faire voir – de produire à ce titre indéfiniment du sens. Le syntagme cible
expressément le pouvoir de problématisation de Benveniste, disposé au cœur de son
anthropologie linguistique. Mais cette clarté comme réserve virtuelle de pensée
est en tous points comparable aux œuvres en ce qu’elle fait preuve comme le
texte le plus opaque à la fois de résistance et de résilience. De sorte que
sans cesse on y revient, il faut l’admettre. Chaque lecture des Problèmes recommence, avec cette sensation singulière qu’on a l’impression de
redécouvrir le texte, comme s’il s’agissait de la première fois – et pourtant
sans virginité aucune. Oui, cette clarté dote le lecteur de ce que Péguy appelait un « regard inhabitué ». Si l'on veut, l’inépuisable de la clarté est ce qui tourne le savoir
vers sa propre inconnaissance, celle de l’auteur et des lecteurs. Un savoir à
construire, bien sûr (non pas exposé mais en devenir de lui-même). Ce que continuent de méconnaître nombre de linguistes qui ne s’attachent
qu’au versant technique-formel des démonstrations. L’inépuisable de la clarté,
c’est pour cette raison sa dimension invisible, ce qui est là sous nos yeux mais qui se dérobe, jusqu’à ce que les propositions en soient
réellement perçues, et prennent enfin le statut non de vérités mais au moins d’évidences partageables.