Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 8 avril 2017

UNE NOUVELLE NRF ? (XIV. LE DÉBAT OU LA MÉTAPHYSIQUE DU LIEN)

Cet essai d’intelligibilité s’inscrit comme prolongement éthique de la dissidence. Il porte les formes d’une vocation minoritaire. D’un côté, il noue valeur et publicité dans le temps, de l’autre valeur et fragilité dans l’espace. La création en revue représente « un intervalle précaire à préserver » (C, 163) contre le poids du monde universitaire et les séductions de la diffusion médiatique[1]. Aux pouvoirs établis elle oppose « de modestes contre-pouvoirs de réflexion » (165). L’analyse ressortit pour une part seulement à la vérité, elle contient une vision éminemment fantasmatique, car aucune revue n’est à l’abri des effets de clan et des techniques de contrôle, des phénomènes d’exclusion ou de domination. Si elle échappe aux « mandarins » et à leurs « enclaves » (163), elle est susceptible d’en reproduire les conduites. Les actes de publication procèdent de décisions et de positions, et même si l’idéal « est d’embrasser tout ce qui apparaît de pertinent et de neuf dans la production savante » (170), tout idéal s’accompagne aussi de silences et de marginalisations au cœur de la production savante. La dissidence n’exclut pas l’idéologie dans la pratique, la minorité pourrait même en être ici le déni. En s’appuyant sur l’exemple de Textures, l’auteur évoque la nature intrinsèquement oxymorique de la revue : « le rayonnement souterrain d’un courant critique qui n’avait aucune place visible dans l’espace public » (163). Une même métaphore optique vient caractériser le geste de la pensée. Le genre de l’article assume un « poste d’observation » (172) alors même qu’il « se voit faiblement » (162). Chez Gauchet, cette phraséologie est un legs phénoménologique. L’acte de discernement et l’analyse qui conduisent aux choses mêmes engagent des « évolutions du regard » (172) qui à terme consolident le réseau collectif de publication. Mais le travail de l’idée s’en trouve lui-même théâtralisé. Il est ainsi question de « mise en scène » et de « mise en forme de la vie intellectuelle » (163). Derrière cette figure apparemment insensible et éculée émerge la catégorie du public. Deux logiques coexistent dans la revue. D’une part, l’idée fatale d’un « public limité » (162), un motif stéréotypé que s’applique à compenser la vocation généraliste du Débat, et le désir de rendre « lisibles » les textes auprès « des non-spécialistes » (171). Mais si cette position pouvait être légitimement énoncée en 1980 au moment où naissait la revue, elle ne l’est plus en 2003 si l’on tient compte de la notoriété internationale que l’organe a désormais acquise. D’autre part, l’injonction de communicabilité possède ici plus que l’évidence d’un critère lié à n’importe quelle intention éditoriale. Elle est au centre d’un modèle social de la lecture, d’une représentation de la collectivité qui se dote d’un double ancrage référentiel, l’un historique, l’autre politique. Dans un premier temps, Gauchet compare volontiers la revue à « une sorte de NRF des idées » (164). Au-delà de la filiation Gallimard et du rôle spécifique qu’y joue Pierre Nora, l’image qui en ressort est évidemment la conversion de la dissidence à l’amplitude des découvertes. De manière symbolique, la NRF fait office d’une mobilisation et d’une curiosité des esprits contre les philosophies imposées de l’époque. Dans cette présentation hagiographique, Le Débat, c’est le pari des nouveaux auteurs, d’une union dans la diversité de courants connus ou méconnus, indigènes ou étrangers, dont l’importance est à venir. Mais la comparaison a des implications également idéologiques. Le modèle NRF, c’est autour de Gide notamment, une révolution conservatrice ou réaction d’abord à la période symboliste et à ses innovations. Dans ce cadre, la fonction primordiale de la revue revient à produire « des pôles d’identités, des repères, des moyens d’orientation » (162). Autant de signaux de clarification de l’univers intellectuel qui appellent autant d’herméneutiques et de cartographies.

(1) C'est ainsi qu'au terme d'une étude statistique, et parfaitement positiviste, de la démographie enseignante et du marché du livre scientifique, Gauchet conclut que l'Université est "une institution presque complètement coupée, désormais, de la vie des idées" (D, 174). Ah bon ?