Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 8 avril 2017

« ET SI REVENAIT LE TEMPS DES REVUES ? » (XIII. LE DÉBAT OU LA MÉTAPHYSIQUE DU LIEN)

Le débat ne donne pas seulement le nom à une revue dont Gauchet est depuis 1980 rédacteur en chef, il représente un genre à part entière. Ou plutôt, dans la relation métonymique qui les unit, ces deux aspects ne se pensent pas l’un sans l’autre. Et le propre de Gauchet face au genre du débat est d’en dénier finalement l’intrinsèque discursivité. Celle-ci présente pourtant trois propriétés essentielles. Le débat se définit d’abord comme un espace et un mode d’écriture. Son langage se nourrit d’une confrontation entre les sujets et s’élabore en fonction de l’idée de public. Enfin, cette réciprocité recherchée appelle un usage de la critique orientée vers la société : le débat est un autre nom de l’action.
Un chapitre de la C est entièrement consacré à « la revue comme creuset de la vie intellectuelle » (155), en liant une évolution éditoriale et une ambition théorique. L’énumération résume une trajectoire : « une revue d’étudiants avec Textures », marquée par son titre du sceau épistémologique des années soixante et soixante-dix, « une revue de chapelle intellectuelle avec Libre » sous le signe de l’engagement, « une revue générale classique [...] avec Le Débat » (164) qui accueille des travaux de science, de philosophie, d’histoire ou d’art. Cette pluralité d’intérêts constitue une réponse au mythe interdisciplinaire et pluridisciplinaire qu’a porté l’époque structuraliste pour en reformuler l’exigence. Contre la réaction de repli qui en a résulté, la revue vise d’abord à « décloisonner » (170) les savoirs et à contester les partages académiques. En effet, les disciplines « ne sont en aucune façon des essences » (9). Toujours distincts, les constructions et les impératifs de méthode correspondent à la formation historique de leur objet et vice versa. En jugeant après coup du paradigme structuraliste dans son « moment créateur », Gauchet retient surtout « la possibilité d’une connexion » entre « psychanalyse, sémiotique, théorie du langage, histoire, ethnologie, sociologie théoricienne » (33). À travers le terme de connexion, il entérine une représentation sans dynamisme ni contradiction des savoirs et des rapports entre les savoirs. Le « style généraliste et ouvert » (164) qu’il accorde à la revue comporte ce vice de réduire les distances scientifiques et d’établir des liens sans le système et l’épistémologie intégralement révisés qui devraient en accompagner l’effort. Certes, dans cette optique, l’hypothèse persiste d’une « science unifiée de l’homme et de la société » (33) mais elle donne lieu à un pluralisme des savoirs. Quoiqu’elle résiste à la spécialisation, par son « ouverture encyclopédique » justement elle livre une juxtaposition et une sérialisation des vues, des approches et des méthodes en place. C’est que l’« idéal encyclopédique » (171) comporte deux allusions qui ne sont pas exactement sur le même plan : à l’œuvre des Lumières, à la conception cumulative d’une totalité façon Hegel.
Il reste que « le bouillon de culture “revues” » (156) réfère bien chez Gauchet à la conscience et à la nécessité d’un renouveau. L’aventure éditoriale tente de « renouer avec l’exigence philosophique » en dehors du structuralisme au moment où ce dernier s’appauvrit jusqu’à « dégénérer » (157). Sans les abandonner, elle en réintègre les questions dans la perspective d’une anthropologie qui cependant minore « l’élément du langage » (33) et place au premier rang « l’analyse politique et sociale » (157). Parce qu’elle s’apparente à un « laboratoire des idées » (170), l’écriture en revue peut paradoxalement satisfaire cette exigence. Sa logique est en effet celle de l’essai et du dialogue. S’il est vrai que « l’objet imprimé » (163) contraint matériellement la réflexion, son exiguïté et sa discontinuité la soustraient précisément aux obligations d’une pleine organicité du discours forgé a priori. Les revues se révèlent « des outils de travail en profondeur sans équivalent » (162) en ce qu’elles permettent de « lancer des idées dans l’espace public » (163). La pensée se conçoit ici sous la forme d’un ensemble de tentatives soumises aux aléas du temps et de la lecture. Qu’elle appelle une sanction immédiate et différée, elle s’évalue toujours « dans la durée » (162). Que montre la publication sinon que l’histoire se fait le témoin de la pensée comme valeur ? Avec le risque que les idées manquent cruellement de recul, soient par la suite affectées de vieillissement ou multiplient les tâches aveugles. Cette propriété incontournable de la pensée au présent fait partie intégrante de son devenir : « Un texte qui se révèle à côté de la plaque, après coup, alors qu’il est solidement étayé, nous apprend encore quelque chose. Comprendre l’histoire, c’est comprendre pourquoi il a pu paraître vrai, ou du moins plausible. » (172). Qu’il conserve son statut actif, demande des correctifs ou se réduise à ses enjeux documentaires, dans tous les cas, le texte en revue est le fragment d’une intelligibilité.