Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 20 avril 2017

LA CLARTÉ INÉPUISABLE


Encore Barthes – à l’honneur, décidément. Plaisir de relire ce commentaire si juste, à propos des Problèmes de linguistique générale : « Les livres de savoir, de recherche, ont aussi leur “style”. Celui-ci est d’une très grande classe. Il y a une beauté, une expérience de l’intellect, qui donne à l’œuvre de certains savants cette sorte de clarté inépuisable, dont sont aussi faites les grandes œuvres littéraires » (Le Bruissement de la langue, Seuil, 1984, p. 193). Bien sûr, il y subsiste cet aspect urticant : même entourée de guillemets, marquant à la fois l’inexactitude et la transposition d’un champ discursif à l’autre, la notion de style – que double la logique de distinction – « très grande classe ». La parole du chroniqueur. La valeur dans ses usages mondains, je trouve. Le journalisme culturel, effet Quinzaine littéraire. Mais la corrélation entre « beauté » et « expérience de l’intellect » condense une direction aussi simple qu’efficace. Elle pourrait être transférée aisément au domaine de la philosophie qui s’occupe de créer spécialement des concepts. Enfin « cette sorte de clarté inépuisable » qui tente de saisir au moyen de la comparaison approximative une qualité majeure du discours, sinon systémique, d’autant plus difficile du fait de son omniprésence à classer et à décrire. Non pas un attribut ou une propriété du « style ». Encore moins la clarté de la « langue » – française (il va sans dire…). Mais ce qui a la force de faire voir – de produire à ce titre indéfiniment du sens. Le syntagme cible expressément le pouvoir de problématisation de Benveniste, disposé au cœur de son anthropologie linguistique. Mais cette clarté comme réserve virtuelle de pensée est en tous points comparable aux œuvres en ce qu’elle fait preuve comme le texte le plus opaque à la fois de résistance et de résilience. De sorte que sans cesse on y revient, il faut l’admettre. Chaque lecture des Problèmes recommence, avec cette sensation singulière qu’on a l’impression de redécouvrir le texte, comme s’il s’agissait de la première fois – et pourtant sans virginité aucune. Oui, cette clarté dote le lecteur de ce que Péguy appelait un « regard inhabitué ». Si l'on veut, l’inépuisable de la clarté est ce qui tourne le savoir vers sa propre inconnaissance, celle de l’auteur et des lecteurs. Un savoir à construire, bien sûr (non pas exposé mais en devenir de lui-même). Ce que continuent de méconnaître nombre de linguistes qui ne s’attachent qu’au versant technique-formel des démonstrations. L’inépuisable de la clarté, c’est pour cette raison sa dimension invisible, ce qui est sous nos yeux mais qui se dérobe, jusqu’à ce que les propositions en soient réellement perçues, et prennent enfin le statut non de vérités mais au moins d’évidences partageables.