Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 18 avril 2023

COUPURE

   Le moment méthodologique du récit se trouve p. 15 : « Si l’on retire de cette liste le “woke-washing” et l’enfumage managérial, tout ce qui relève d’une récupération des luttes minoritaires par les forces du marché – qui en sont moins l’allié que la cible plus ou moins directe, et la cause profonde de la guerre en cours » (je souligne). Cusset me semble apercevoir le problème. Il éclaire aussi pour moi ce qui est mon chantier depuis trois ans : le langage auquel donne lieu inversement cette prise de parole, mais qui me semble pour cette raison proportionnellement inaudible. Et il y a des réactifs qui le montrent : les mouvements d’humeur d’Olufemi Taiwo et autres penseurs militants noirs par exemple, qui ne se trompent pas aux gigantesques arnaques du pouvoir et du capital. L’impression encore plus nette à le lire que j’ai de travailler sur l’autre morceau du problème. Mais c’est là aussi la divergence, qui se vérifie plus loin, p. 28 : « Car l’impact des États-Unis sur le reste du monde tient moins au lexique antiraciste ou au féminisme en réseau qu’à des phénomènes autrement décisifs : la contagion de leurs techniques de marketing, de leur management agressif ». C’est réduire antiracisme et féminisme au lexique ; c’est oublier complètement la révolution managériale – le marketing des identités, des genres, des sexes, des races. L’idéologie EDI des entreprises dans laquelle prend également le néolibéralisme d’État et son interventionnisme, État-providence en trompe-l’œil. On peut séparer pour les besoins de la compréhension comme Cusset le fait. La réalité est autre cependant : il y a ce que j’appelle la wokeness comme discours dominant – et pratiques. Et elle s’explique aussi par la sociologie des diplômés – droit, affaires, sciences humaines, santé (Campbell, Manning) – toutes les pleureuses de Berkeley, Harvard, Stanford qui vous parlent diversité et équité (amen) ; et qui ont été nourris à certaines théories qu’ils mettent en œuvre ou adaptent dans leurs domaines professionnels. Elle s’explique aussi par ce fait – élémentaire – que les wokes, ce n’est pas le beau portrait de la jeunesse du monde qu’en dresse Cusset, qui n’existe pas en soi, pas plus qu’il n’existe des « minorités mondiales » comme il le postule (pas si simple : des minorités produites par la, les mondialisations, sans doute, mais c’est autre chose), mais une majorité blanche, progressiste, diplômée, etc. (O. Moos).