Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 21 mars 2021

SYSTÉMIQUE

    Comme souvent, l’unique voie pour résister le plus efficacement possible au sottisier ambiant est de conserver l’esprit de distance satirique. L’idée selon laquelle les idéologies qui se proposent de construire une vision du réel empêchent par définition de penser, cette idée n’aura jamais été mieux illustrée qu’aujourd’hui dans et par l’espace public. L’air y est décidément irrespirable. Au nom du progressisme on assiste par les gauches au retour du religieux. L’un des mots-réflexes, auquel réagissent spontanément nos chiens de Pavlov, qu’ils soient hommes politiques, journalistes, administrateurs, universitaires, etc., est sans doute « systémique ». Appliqué en premier lieu à tous les mécanismes de discrimination et de domination, il tente de coordonner des faits qui ne sont pas a priori isolés – ou qui sans cela demeureraient atomiques. Le racisme, le sexisme sont donc systémiques. Etc. La liste est longue. Il m’amuse, ayant exploité ce terme à partir de la linguistique saussurienne où il a un véritable statut conceptuel, de le voir se généraliser en discours social, sans qu’il soit jamais questionné. C’est la force des lieux communs, on le sait. On efface donc en particulier ses emplois dans le domaine organiciste jusqu’au champ des sciences humaines. Dans le cas de racisme, on le met en vis-à-vis de « racisme institutionnel » ou de « racisme d’État », notion qui conviendrait à la situation d’un pays colonial par contre. Mais pas plus que les signes – il n’y a que des différences – les catégories intellectuelles ne sont synonymes : ces expressions ne sont pas équivalentes. Bien entendu, il ne suffit pas de postuler qu’il existe un racisme systémique, ou encore de l’admettre dogmatiquement au rang d’évidence qu’on n’interroge plus, il est nécessaire de le démontrer. À commencer par la généalogie du terme (celle que rappelle Taguieff) : issu de la langue activiste des militants afro-américains des années 60, c’est plus une arme idéologique qu’un concept. En user comme d’un concept mérite qu’on le justifie théoriquement et qu’on le vérifie empiriquement. Mais dans ses usages eux-mêmes systémiques, on perçoit trop bien les ravages d’une idéologie de la totalité : la logique discriminatoire et les mécanismes de domination seraient partout et nulle part à la fois – échappant de par leur invisibilité ou leur caractère diffus voire dissimulé au démontrable et au factuel. C’est là que l’idiome du systémique devient dangereux et toxique. Enfin, ce qui n’est en l’état qu’un slogan, au mieux un postulat, implique et une théorie de la société et une théorie du pouvoir, des pouvoirs – l’articulation entre ces deux théories, et la plupart du temps cette exigence qui rendrait pourtant intelligible le phénomène qu’on adresse au réel se révèle absente ou déficiente.