Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 21 mars 2021

LE POINT DE FRAGILITÉ

     Dans ce débat qui entoure la liberté académique, l’une des zones de fragilité est la politisation des savoirs au lieu d’une politique du savoir, la substitution de l’un à l’autre, aspect que j’ai déjà noté. Le phénomène est difficile à apprécier dans son ampleur. Il n’est pas nouveau mais il est lieu d’une convergence des intérêts inattendue, et alors même que l’on ne cesse d’opposer et revendiquer l’autonomie de la recherche. Mais de même que le beau est indépendant du vrai et du juste, le vrai est indépendant du juste et du beau. Voir Baudelaire et ses deux morales dans les Notes pour mon avocat ; également l’article d’Yves Gingras, « Moralisation de la science et autonomie de la recherche » (Savoir / Agir, n. 54, 2020, p. 109-117) dans une optique bourdieusienne. Au reste, la relation activisme / recherche, qui a déclenché pas mal de controverses, notamment en France, n’est qu’une sous-composante de cette politisation des savoirs. Et en l’occurrence, cette interaction est en soi positive. Un militant peut à bon droit se ressaisir des conclusions d’une recherche. Une prise de conscience féministe ou environnementaliste peut mettre à découvert un champ inexploré ou invisible jusque-là des savants. Simplement activisme et recherche répondent à des objectifs et des méthodes distincts – ils doivent à terme opérer dans le respect des conditions épistémiques : la nécessaire conversion de la perspective militante en regard objectivant. À l’inverse, aucun savoir n’est à l’abri des idéologies et se doit même de débusquer ses propres impensés – mettre au jour les angles morts de sa démarche, ses présupposés – d’où la nécessité de l’activité critique et même autocritique. Le sujet de la connaissance doit enfin s’inclure dans l’acte de connaissance lui-même. En anthropologie, Lévi-Strauss l’a souligné, l’observateur fait partie de l’observé. Mais tout ceci n’est-il pas bien connu ? Cela n’entraîne en aucune façon que l’on puisse remplacer les opérations de la science par des dogmes ou des croyances ? L’université et plus largement la sphère du savoir ne sont pas là pour normer le monde, leur tâche est de le penser dans toute l’étendue de sa complexité. Imaginerait-on un historien documentant la Shoah ou une virologue dans son laboratoire conduire leur travaux sur la base de convictions ou pire encore d’opinions ? C’est à la condition de maintenir la spécificité du savoir – l’exigence de connaissance, de méthode et – pardon de ce gros mot – malgré tous les perspectivistes et relativistes de la terre – même l’exigence de la vérité – bref c’est à cette condition que l’on préservera la fonction critique et politique du savoir au sein de la société, d’une société.