Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 7 juin 2017

LE NŒUD ÉTHICO-POLITIQUE : IMMIGRATION (XXXII. LE DÉBAT OU LA MÉTAPHYSIQUE DU LIEN)


Il y a chez Gauchet un ethnocentrisme de la pensée qui est simultanément une pensée de l’ethnocentrisme. La caution de Lévi-Strauss via Race et Histoire (D, 221) ne change rien à ce fait que l’ontologie reste prisonnière du vis-à-vis entre le même et l’autre, et assimile classiquement deux questions en une, différence et altérité : « Dans racisme, il y a assignation de l’autre (et de soi) à une nature, enfermement dans une différence d’essence. Il y a hiérarchisation de ces natures, et corrélativement volonté ou de se protéger contre l’autre (apartheid) ou de l’asservir, ou de le détruire, en fonction du degré de nuisance supposé des mélanges. » (id.) Elle dénonce fort bien l’essentialisation de l’autre dans la haine raciale mais elle pratique un raisonnement similaire quand elle doit reconnaître l’étranger comme sujet. Face à la « montée des extrémismes » et des « nationalismes », elle perçoit surtout dans le cas français le divorce politique des dirigeants et des citoyens. Elle en renvoie l’analyse au nœud qui unit l’insécurité à l’immigration, l’impuissance publique et l’appel protecteur à l’État, en phase avec les doctrines qui se sont succédées au tournant des XXe et XXIe siècles. La présence de l’étranger sur le territoire serait devenue « le symbole d’une situation globale de dépossession » (219), elle rassemblerait « les enjeux sécessionnistes » qui travailleraient la société. Cette hypothèse laisse d’abord s’exprimer la vox populi. De « l’association funeste qui s’est nouée dans l’esprit des populations entre immigration et insécurité », il est dit toutefois qu’elle « correspond à un élément de la réalité » (218). Le texte donne raison au sentiment général tout en ayant le luxe de le corriger au nom d’une clairvoyance proprement intellectuelle. L’objectif n’est pas de remettre en cause le principe républicain du droit du sol mais de réinscrire la question de l’immigration au centre du débat national afin que chaque citoyen se la réapproprie. L’auteur parle du « “rejet de l’autre” auquel on ne comprend rien si l’on ne voit pas qu’avant d’être réaction à la différence, il est demande de pouvoir sur le principe de présence de l’autre » (225). Parce qu’il entretient la confusion entre altérité et différence, il en réduit plus encore la compréhension : l’altérité ne réfère jamais aux autres mais toujours à l’autre. Ce qui est à rebours une amorce d’essentialisation, l’individu particulier tenant lieu (ou représentant) par principe devant les autres de sa culture d’origine. La seule manière d’y répondre serait la « demande de pouvoir », autrement dit l’exercice d’une domination que l’immigré par la suite dûment intégré aura toute légitimité de pratiquer sur les nouveaux arrivants. Le discours sécuritaire y prend place qui ne se sépare plus de « l’assurance identitaire qu’exige une ouverture maîtrisée sur l’extérieur » (184). Le même et l’autre, l’autochtone et l’immigré, l’intérieur et l’extérieur : « l’effet de seuil » est effectivement « encore plus marqué » (227). À ce stade se concilient une conception libérale de la démocratie et une approche quantitative de l’altérité : « L’immigration continuera. À nous de savoir si ce sera sous une forme anarchique destinée à enfler encore une protestation xénophobe empoisonnant la vie civile et paralysant la vie politique ou sous la forme d’orientations publiques débattues comme telles et définies en fonction des besoins de la collectivité. Par exemple sous la forme de quotas, ainsi que le pratiquent, Jean-Claude Chesnais le rappelle, tous les grands pays d’immigration. Ce n’est pas d’un arrêt de l’immigration que nous avons besoin. C’est d’une maîtrise du processus de l’immigration permettant de le réinsérer dans la sphère de la souveraineté sociale. » (228) Cette prise de position entre en pleine cohérence avec la question initiale de savoir si une société pouvait devenir une « somme collective viable » (15). Voir le post du 10 mai sur ce point « XXVII : Y a-t-il une somme collective viable ? ». L’immigration n’est pas uniquement un débat de société contemporain, comme on dit. Elle est ici révélatrice du nœud éthique et politique d’une anthropologie qui, reconnaissant l’individu à la base de la communauté démocratique, s’appuie sans varier du même à l’autre sur une rationalité du nombre.