Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 22 juin 2017

DE L'ENSEMBLE

L’intérêt de la phrase, et d’une poétique de la phrase, n’est pas de résister, comme à contretemps à son déclassement épistémologique dans les sciences du langage, rivées à l’unité texte avec le même degré de positivisme qu’aux beaux jours du structuralisme. En l’occurrence, une théorie du poème ne peut se dispenser d’une théorie de la phrase, et réciproquement. Et les sciences et arts du texte ne me semblent pas poser les bonnes questions. Elles envisagent des unités-totalités (hétérogènes, polystructurées, formalisables). Alors que la phrase – comme phrase continuée – phrasé, etc. – constitue un « ensemble ». De ce point de vue, la poétique de Péguy est capitale pour le comprendre. L’ensemble ne s’obtient pas par la somme de ses parties, ni même par interaction ou coopération entre elles des discontinuités formelles. Il advient par assemblages discursifs dynamiques – chaînes ou séries phonographiques. Benveniste le perçoit déjà dans l’ordinaire de la langue, que « chaque locuteur fabrique », tout spécialement « quand il s’agit de phrases » : ce ne sont plus « les éléments constitutifs qui comptent » mais, d’une part « l’organisation d’ensemble » (qu’elle soit par ailleurs complète ou incomplète, cohérente ou aléatoire), et d’autre part « l’arrangement original, dont le modèle ne peut avoir été donné directement » (Problèmes, t. II, p. 18-19). La question ne s’énonce pas autrement dans le Baudelaire à propos des Fleurs du Mal : « Quelle est l’“unité” de la langue poétique […] ? » (23, fº30 / fº353, p. 742) – « En poésie l’ensemble prime et détermine l’unité » (20, fº4 / fº198, p. 428). Ce principe de créativité se généralise assurément dans l’ordre littéraire. À ce titre, il neutralise l’opposition de l’ordinaire et du poétique. Mais il ne suffit pas qu’il devienne systématique. Il se charge en outre d’une fonction éthique qu’assume et porte un sujet pour y mettre en jeu sa singularité et son devenir. L’identité poétique se tient entre l’ensemble et ses assemblages, c’est par la signifiance qu’ils produisent qu’elle s’agence et se renouvelle. Cela revient au fond à acter l’ambiguïté de Saussure, la question n’étant pas tranchée dans la version transcrite du Cours de linguistique générale : « Mais d’abord jusqu’à quel point la phrase appartient-elle à la langue ? Si elle relève de la parole, elle ne saurait passer pour l’unité linguistique. » (édition T. de Mauro, Payot, 1972, p. 148) Les Écrits se font plus explicites sur ce point : « […] la phrase n’existe que dans la parole, dans la langue discursive » (Gallimard, 2002, p. 117). Et pour cause, Saussure se heurte au multiple comme à l’infini empiriques de la phrase : « Si nous nous représentons l’ensemble des phrases susceptibles d’être prononcées, leur caractère le plus frappant est de ne pas se ressembler du tout entre elles », de sorte qu’entre les phrases – à l’image des individus composant une même espèce – « c’est la diversité qui domine » (Cours..., p. 148-149). C’est cet infini empirique que Benveniste remet déjà au centre du propos en l’accordant à sa théorie de l’énonciation.