Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 6 mars 2017

L’ÊTRE-SOI (IV. LE DÉBAT OU LA MÉTAPHYSIQUE DU LIEN)

Telle qu’elle subsiste sous la forme du religieux dans notre monde, la religion s’illustre à travers trois figures : la pratique et la connaissance de soi, l’art et la pensée. L’auteur y ajoute même aujourd’hui « l’expérience éthique » (RR, 110). Dans le premier cas, le reflux des cadres spirituels rend « problématique » ce qu’ils donnaient pour « résolu » : « la question de l’être-sujet » (DM, 299). Au rôle d’extériorité englobante ou d’« extranéité instituante » (RR, 114) que jouaient les croyances et les divinités officielles succède maintenant une individuation sans unité ni repère. Cette nouvelle instance oscille entre affirmation et négation : bipolarité réductrice qui se résume en « difficulté d’être-soi » (DM, 302), antinomie qui occulte une multiplicité d’autres figures possibles du sujet. Hanté par la référence au sacré et à sa plénitude de sens, cet être-soi devient profondément instable et labile. L’auteur parle de « ces collages syncrétiques et mobiles » que forment « les individus de l’âge post-moderne » (ibid., 300), une réalité tout à la fois composée et dispersée, hybride ou hétérogène. Aussi, loin du topos structuraliste cultivant les soupçons à l’égard du sujet, Gauchet en valide ironiquement la perspective dans ses insistances et récurrences présumées : « Vingt temps de haine déclarée du sujet et du culte de sa disparition, pour assister à son retour débridé et à sa réhabilitation narcissique » (302). D’un schéma à l’autre, un même report de transcendantalité comme source explicative. Ce motif du sacré, Gauchet n’en fait pas la découverte. Dans sa conférence « Qu’est-ce qu’un auteur ? » en 1969, Michel Foucault l’avait déjà repéré au vide même de l’instance et en brisait plus ouvertement les présupposés. Contre « les facilités du structuralisme », il envisageait alors une pluralité des formes de l’individuation eu égard à leurs temps spécifiques d’émergence et leurs lieux respectifs d’application : « Encore faudrait-il préciser dans quel champ le sujet est sujet, et de quoi (du discours, du désir, du processus économique, etc.). Il n’y a pas de sujet absolu[1]. » Il est vrai qu’en récusant de la sorte les « privilèges du sujet » (ibid., p. 810), Foucault lui substituait une taxinomie des fonctions anthropologiques. Cette alternative ne se comprenait pas sans une « analyse historique des discours » (id.) obéissant aussi à une rationalité typologique. À une topique du sujet répondait chez lui une logique de la relation. En fait, tant que le processus de l’individuation comme subjectivation était renvoyé au champ d’une activité, il ne pouvait se constituer spécifiquement. Sujet de quoi : il ne s’agit là que de la syntaxe d’un rapport, même multiple. Cette syntaxe est l’énonciation d’un problème, elle possède sans doute un caractère provisoire mais elle reste une syntaxe. Aucun concept n’est ici encore en vue. Le sujet du discours, le sujet du désir, le sujet du processus économique peuvent devenir des concepts et des concepts opératoires s’ils sont théorisés dans le champ où ils se placent. Dans cette optique, ils ne renvoient plus à une fonction, ils possèdent une historicité. Au lieu de se désigner en région du sujet, ce que laisse inévitablement entendre la syntaxe (sujet de quoi), ils construisent un point de vue particulier qui engage une problématisation de l’humain dans son ensemble, mais une problématisation toujours relative à ce point de vue. Il reste qu’en postulant une pluralité des formes de l’individuation, Foucault modifiait sensiblement une problématique trop lourdement chargée par l’unicité transcendantale du sujet (sa réaffirmation, sa contestation comme son absence).



[1] Dits et écrits, t. I, Paris, Gallimard, coll. "Bibliothèque des Sciences humaines", 1994, p. 818.