Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 6 janvier 2017

« RACE » ET « CAPITAL »


Discours activiste certes, « Pas de capitalisme sans racisme », article de Mostafa Henaway, paru dans Le Devoir, le 3 janvier 2017 (http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/488276/pas-de-capitalisme-sans-racisme). L’auteur, organisateur-militant du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (Montréal), s’était déjà démarqué en 2014 par son opuscule, Capitalism on the Edge, the Crisis that Came the Crisis yet to Come (Howlarts ; voir notamment l’interview accordée sur CKUT Radio : https://soundcloud.com/howlarts/mostafa-henaway-capitalism-on). Malgré certains raccourcis et simplifications, il cible cependant des questions nodales. L’articulation observable entre le phénomène de la globalisation (économique) et les flux massifs de migrations, notamment entre Nord et Sud, est révélatrice d’une corrélation beaucoup plus ancienne, sinon structurelle au dire de son auteur, entre « la montée du capitalisme, la constitution de l’État-nation et le projet colonial ». S’il privilégie comme lieu d’explication le Canada, et même le Québec, l’argument pourrait aisément être étendu non seulement aux USA et à l’histoire génocidaire, mais aux puissances européennes aux XIXe et XXe siècles, s’il est vrai que l’enracinement notamment du modèle des démocraties libérales s’y révèle inséparable de l’expansionnisme colonial et de l’appareil militaire, politique et administratif, économique et culturel, qui l’accompagne alors. Du cas des autochtones aux migrants chinois, « la fondation de l’État et du capital canadiens s’est réalisée sous une forme d’apartheid économique légalisé pour assurer l’accès aux ressources et à la main-d’œuvre bon marché, s’appuyant sur la construction d’une identité nationale “canadienne” qui excluait les communautés marginalisées et les peuples autochtones, scellant des rapports inégaux ». Au-delà des faits, l’expression transposée d’« apartheid », même modulée dans le champ « économique », demeure résolument polémique ; les rapports ainsi décrits n’en sont pas moins constitutifs et durables selon Henaway puisqu’ils continuent de régir la société actuelle. Au demeurant, une telle situation est mise en regard de la loi 62 au Québec dont « l’intention politique est manifestement de consolider certains segments de l’électorat en mobilisant un discours sur les communautés immigrantes », spécialement musulmanes (critère qui n’est plus alors ethnique mais religieux). À rebours, l’auteur qui dénonce avec clairvoyance la fiction dissimulée sous le principe de « laïcité » n’en conteste pas cependant le présupposé : « les idéaux universels » qui se rattacheraient à un tel principe. En outre, l’exemple québécois se révèle doublement complexe si l’on en rapporte la problématique ouvrière et migrante à l’histoire de ce milieu et des communautés qui l’ont représenté (irlandais, français-canadiens, etc.) et spécialement à la sujétion économique des francophones. Mais l’idée générale qui se déploie au terme de l’article est que de l’intérieur pour les sociétés occidentales, illustré spécialement ici par le Canada et le Québec, « le capital a besoin de créer un “Autre” », que ce soit pour s’en protéger comme « étranger » au nom de réflexes identitaires ou pour le soumettre (ou si l’on veut : l’aliéner) dans la perspective du profit. Il en résulte plus largement que le capitalisme participe à une « logique racisée », de sorte que « notre manière de concevoir la race et la classe comme des phénomènes séparés » procède en vérité d’une « fausse opposition ». Ce qui résiste toutefois dans cette critique sans compromis, ce sont les instruments conceptuels de la description utilisés au nom d’un « mouvement ouvrier à la fois fort et pertinent » : d’un côté, le cadre très classique et aisément identifiable de l’interprétation marxiste ; de l’autre, des catégories telles que « race » ou « classe », pour le moins discutées et discutables, mais tenues comme valables a priori. C’est à ce niveau que se tiennent l’efficacité savoureuse mais aussi les limites du travail de dévoilement.