Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 28 janvier 2017

PHRASILLONS


À quoi l’oralité du dégoût conduit-elle Corbière dans Les Amours jaunes ? L’auteur en sort dans un premier temps le sensible, et la problématique de la connaissance, du champ de l’esthétique. Ouverture de « Gens de mer » : Callot, le mal fait, la gravure. Le rapport de l’artiste à son modèle : le matelot. Mais le « je sens » (à relier avec le « ça sent » du « Renégat », qui le réduit au flair, registre animal) – sentir son modèle comme le comédien son personnage – y devient inséparable de déphraser le poème. Et déphraser c’est phraser « sous moi ». Avant Jarry, Artaud et Novarina : le « caca » comme valeur du poème, l’ordure, le malpropre. Déclinaison de l'époque bien entendu : Verlaine, Rimbaud, Lautréamont  et avant Baudelaire.  La littérature difforme, la littérature-fumier. Et les matelots (les vrais, pas ceux de l'Opéra-comique pour public bourgeois) sont de mauvais goût. Mais quelle en est l’unité discursive ? Mon hypothèse : ce que Tesnière dans ses Éléments de syntaxe structurale appelait des « phrasillons », ou mots-phrases, dans lesquels il mettait prioritairement les interjections. Inutile d’insister sur leur importance, en lien avec la langue parlée, dans Les Amours jaunes. Mais il y a plus. L’intérêt de la notion est sa valeur de diminutif, for sure. Le phrasillon est à l’image du « petit vers » ou « vermisseau » dans le pastiche de La Fontaine : non simplement du court (la question n’est pas dimensionnelle), et le petit vers se décline d’abord comme mauvais vers en lien avec le « Mirliton » des « Rondels pour après ». Il appartient surtout et enfin à la classe des invertébrés : le manque d’ossature ou d’armature – comme l’avait vu Jules Laforgue dans ses notes polémiques. Le défaut de structure. Le phrasillon est la phrase qui manque ; la phrase contumace. Le vice de phrase aussi. Ce qui la met en défaut (syntaxe, rhétorique, mélodie). Ce qui en tient lieu (unité vicaire). Les phrasillons – dit Tesnière – ce sont des « espèces de phrases ». On ne saurait mieux dire. Si l’on ressaisit la logique du classement grammatical du point de vue d’une poétique (celle de Corbière en particulier), la manière y est doublement impliquée : au plan logique, au plan artistique. L’approximation – des espèces de phrases (ce qui y ressemble mais n’en est pas) – est travaillée en soi par le poète. Celui-ci écrit des espèces de phrases par coups rythmiques : unités imprévisibles, unités événements (unités spécifiques, cette fois). Le phrasillon, donc : pour rendre compte de ce qui est décrit le plus souvent comme « diction du souffle court, du souffle coupé » (J.-M. Gleize, Poésie et figuration, Seuil, 1983, p. 212). Commentée selon les points de vue et les présupposés à l’œuvre en « ellipses », « démembrements », « anacoluthes », « fragments », « asyndètes », etc. À suivre.