Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 12 janvier 2017

OCEANO NOX


Tu lui demandes chaque fois avec la même curiosité tendre, la même excitation enfantine. Écouter la mémoire vive pour le plaisir. À 62, 78 ou 81 ans, en bout de vie, elle s’est prêtée chaque fois au jeu. Une récitation aigre d’abord, qui cherche peu à peu le liant. La voix ridée retrouve lentement les mots, trébuche aux rimes puis mesure les consonances du vers. Elle s’élève enfin, plus libre, heureuse de renouer avec le passé : « Oh ! combien de marins, combien de capitaines / Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, / Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune ! » Etc. « Tu vois, je le sais encore par cœur… » Elle a dû l’apprendre vers 9, 10 ou 11 ans. Il s’y entend l’école de la IIIe République. Sa fierté personnelle surtout, émue de reparaître à soi-même, comme transfigurée, et de remonter par ce moyen inattendu la marche du temps.