Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 10 janvier 2017

LES LIMITES DU SENSIBLE

À retenir : la réaction critique de l’historien Philippe Artières à l’exposition Soulèvements dans une tribune du quotidien Libération (08 janvier 2017* ; voir post du 8 novembre 2016). Alors que l’intention de Didi-Huberman était de « redonner une place au politique » et d’« encourager en somme les résistances », l’écueil majeur tient au fait que l’exposition se donne comme « une proposition “sensible” », laissant apparaître un déficit d’historicité : elle déploie « des ensembles d’images, sans jamais les contextualiser ni les inscrire dans l’histoire sociale et politique mondiale » et manque donc sa cible ou ne l’atteint qu’« en faisant de chaque action de résistance aux pouvoirs un acte artistique ». En l’état, l’objection ne se dispense pas d’ambiguïtés ; elle s’éclaire cependant mieux lorsqu’il est fait mention d’images dépourvues d’« inscription subjective – ni artistique ni politique ». Ce qu’illustre plus loin l’effet de perception et de représentation : « La barricade devient une installation artistique, le fusillé, un performer, le manifestant, un danseur et les archives policières ou médicales, des œuvres. Il n’y a plus d’histoire, il n’y a plus d’acteurs de l’histoire, plus de collectifs, juste des figures, des formes, des tableaux ». En regard, lui est opposée l’approche foucaldienne elle-même qui tient la notion de soulèvement comme « instant de subjectivation » ou ce « geste par lequel un ou des individus se construisent en sujets historiques » (voir « Inutile de se soulever ? », Le Monde, 11-12 mai 1979, repris dans Dits et écrits, t. III, Paris, Gallimard, p. 790-794). Des images l’historien, agissant en « pédagogue », et selon sa méthode surtout, interrogera inversement « leurs supports, leurs modes de circulation, le programme dans lequel elles s’inscrivent ». Mais sa réponse laisse en l’état le problème que sa critique a rigoureusement ciblé : l’amalgame entre l’expression sensible et l’expression artistique, et son corrélat qui est la notion même d’image, sources de cette esthétisation de l’histoire des luttes sociales et politiques (variablement indexable au régime du spectaculaire). Elle laisse aussi ouvertes deux questions : s’il y a subjectivation, comment alors penser « sujet de l’art » et « sujet de l’histoire » ? s’il y a « singularité », des acteurs et des collectifs, il reste également à savoir non pas comment l’art représente mais produit du social et du politique – comment il peut aussi faire l’histoire.