À quoi l’oralité du
dégoût conduit-elle Corbière dans Les Amours jaunes ? L’auteur en sort dans un premier temps le sensible,
et la problématique de la connaissance, du champ de l’esthétique. Ouverture de « Gens de mer » :
Callot, le mal fait, la gravure. Le rapport de l’artiste à son modèle : le
matelot. Mais le « je sens » (à relier avec le « ça sent » du
« Renégat », qui le réduit au flair, registre animal) – sentir son
modèle comme le comédien son personnage – y devient inséparable de déphraser le poème. Et
déphraser c’est phraser « sous moi ». Avant Jarry, Artaud et Novarina :
le « caca » comme valeur du poème, l’ordure, le malpropre. Déclinaison de l'époque bien entendu : Verlaine, Rimbaud, Lautréamont – et avant Baudelaire. La littérature difforme, la littérature-fumier. Et les matelots (les vrais, pas ceux de l'Opéra-comique pour public bourgeois) sont de mauvais goût. Mais
quelle en est l’unité discursive ? Mon hypothèse : ce que Tesnière dans
ses Éléments
de syntaxe structurale appelait des « phrasillons », ou
mots-phrases, dans lesquels il mettait prioritairement les interjections.
Inutile d’insister sur leur importance, en lien avec la langue parlée, dans Les Amours jaunes. Mais il y a plus. L’intérêt
de la notion est sa valeur de diminutif, for sure. Le phrasillon est à l’image
du « petit vers » ou « vermisseau » dans le pastiche de La
Fontaine : non simplement du court (la question n’est pas dimensionnelle),
et le petit vers se décline d’abord comme mauvais vers en lien avec le « Mirliton »
des « Rondels pour après ». Il appartient surtout et enfin à la
classe des invertébrés : le manque d’ossature ou d’armature – comme l’avait
vu Jules Laforgue dans ses notes polémiques. Le défaut de structure. Le
phrasillon est la phrase qui manque ; la phrase contumace. Le vice de phrase
aussi. Ce qui la met en défaut (syntaxe, rhétorique, mélodie). Ce qui en tient
lieu (unité vicaire). Les phrasillons – dit Tesnière – ce sont des « espèces
de phrases ». On ne saurait mieux dire. Si l’on ressaisit la logique du
classement grammatical du point de vue d’une poétique (celle de Corbière en
particulier), la manière y est doublement impliquée : au plan logique, au
plan artistique. L’approximation – des espèces de phrases (ce qui y ressemble
mais n’en est pas) – est travaillée en soi par le poète. Celui-ci écrit des
espèces de phrases par coups rythmiques : unités imprévisibles, unités
événements (unités spécifiques, cette fois). Le phrasillon, donc : pour
rendre compte de ce qui est décrit le plus souvent comme « diction du
souffle court, du souffle coupé » (J.-M. Gleize, Poésie et figuration, Seuil, 1983, p.
212). Commentée selon les points de vue et les présupposés à l’œuvre en « ellipses »,
« démembrements », « anacoluthes », « fragments »,
« asyndètes », etc. À suivre.