Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 2 octobre 2021

SOUS-TEXTE NATIONALISTE

     Il reste que la valeur des mots opère ici en plein champ politique. Traiter de woke le leader de Québec Solidaire est évidemment très injuste. Le parti d’extrême-gauche contient assurément une mouvance décolonialiste qu’il a lui-même cherché à mater, au prix de la division, et qui, malgré tout, demeure minoritaire. Au-delà du conservatisme duplessien et de la « Grande Noirceur », le recours insultant à woke qui lui fait face est caractéristique de l’évolution du mot dans la rhétorique de droite. Ce changement est perceptible ailleurs, par exemple dans certains think tanks libéraux en Europe, voir par exemple Pierre Valentin, aux publications de la Fondation pour l’innovation politique, que me signale Pascal Maillard : L’idéologie woke. Anatomie du wokisme (1) et L’idéologie woke. Face au wokisme (2), juillet 2021). Ce changement va probablement alimenter d’un côté le discours de l’instrumentalisation, de l’autre celui de la victimisation. Il ferait presque oublier que les marquages négatifs, ironiques ou polémiques sont aussi imputables aux gauches, marxiste, libertaire, sociale-démocrate. Ceux-ci observent d’un œil inquiet cette concurrence idéologique et craignent pour leur propre déclassement, selon une dynamique reconnue de longue date par les sociologues. Mais l’emploi du terme par Legault ne vise pas uniquement à porter le stigmate vers l’adversaire en le diabolisant. Il contient un sous-texte nationaliste et identitaire inséparable des tensions culturelles entre anglophones et francophones. Est woke ce qui est contraire aux valeurs de la province, ou consiste à refuser de s’aligner sur elles, de s’y conformer ou plus simplement de les défendre. Est woke ce qui émane du Canada anglais, dans une plus large mesure des terres états-uniennes ; est woke toute forme d’inféodation à l’idéologie officielle qui domine dans l’espace anglophone ; est woke finalement une variante des discours et des attitudes néocoloniaux. Bref, woke serait anti-québécois. Sans doute ce champ de connotations est-il loin des valeurs primitives du mot, attaché à « l’éveil » en matière de justice dite raciale et sociale. Mais il est à même d’interpeller efficacement une partie de l’électorat. Au-delà de l’antinomie progressisme vs conservatisme, cet emploi fait valoir deux points : a) une compréhension que le phénomène auquel s’oppose Legault n’est nullement minoritaire mais plus répandu qu’il n’y paraît, et c’est probablement le point le moins contestable de la controverse, celui qui se vérifie ; b) une réappropriation et une réinterprétation de woke selon les termes et les courants de pensée qui traversent le débat politique québécois.