Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 2 octobre 2021

AWARENESS ET AWAKENESS

    Par-delà les contorsions rhétoriques que l’on perçoit dans la sphère publique, les spéculations autour du mot « woke » dans les médias, ici mais également en France, tout cela indique d’une part que la philologie en est le plus souvent ignorée, non seulement le vernaculaire afro-américain, son point de départ, mais ce qu’il annexe des racines religieuses de la société états-unienne plus largement, The Great Awakening des années 1730-1740 ; d’autre part que le signifiant entretient aussi la perception tronquée du phénomène social, cas typique de ce que Nietzsche appelait l’illusion grammaticale. Il empêche de voir. Cette approche partielle est souvent intéressée, particulièrement à gauche, où l’on aimerait n’y voir qu’un phénomène militant, aux radicalités et aux excès de temps à autre condamnables. Alors qu’il s’agit d’une attitude répandue, dont j’ai dit et redit la sociologie, une attitude qui prend la forme d’une éthique personnelle. Mêlée d’intransigeance puritaine, cette éthique conjugue les traits de l’awakeness, l’état de vigilance à l’égard des injustices sociales et spécialement raciales, et de l’awareness, la prise de conscience, exercice tourné d’abord vers soi (et c’est probablement à ce niveau que travaille la matrice protestante), mais également vers les autres : faire prendre conscience. Impossible enfin de ne pas relier la wokeness aux prédications du XVIIIsiècle (Edwards, Whitefield), adressées aussi bien aux colons qu’aux esclaves et aux populations autochtones, sur l’économie du péché principalement. Car les blancs pécheurs d’Amérique doivent rédemption – et racheter aujourd’hui les erreurs de l’histoire. Robin diAngelo l’a bien compris : de même qu’on ne peut pas ne pas être pécheur, on ne peut pas ne pas être raciste. L’important est de le reconnaître – to be aware of it. Ce qui peut vous y aider, c’est l’industrie moderne de la conscience, qui a pris les relais des techniques de soi comme dirait Foucault, mais également du temple ou de l’église : les ateliers de formation diversitaire, les logiciels de rééducation antiraciste, mis au point dans les entreprises et exportés vers les organismes d’État, le monde de la culture, les écoles et les universités. Comme quoi, capitalisme et protestantisme sont décidément liés…