Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 19 décembre 2018

JUSTE

Ce que fait valoir par exemple la traduction anglaise du titre (It’s Only the End of the World), c’est ce qu’elle manque de cibler. En deçà. Mais elle ne pointe pas uniquement un enjeu philologique ; elle met au jour l’usage polysémique de ce marqueur très complexe qu’est « juste » dans le texte lagarcien, variablement adverbe ou adjectif. Et sans doute « la fin du monde » n’est pas en reste. Elle est glosée entre autres dans les laisses ou versets du monologue de Louis : « c’est que le reste du monde disparaîtra avec soi, / que le reste du monde pourrait disparaître avec soi » (Théâtre complet, t. III, Les Solitaires intempestifs, 1999, p. 243). La version cinéma l’exploite comme lieu commun de la conversation – hantée néanmoins par sa dimension tragique latente : « et pourtant ce n’est qu’un déjeuner en famille, c’est pas la fin du monde » (trailer) ; la dispute des deux frères dans la voiture, et la réplique de Louis sur la distance géographique qui le sépare du restant de la famille : « c’est pas la fin du monde de venir ici ». En regard, les déclinaisons de juste laisse entrevoir un spectre considérable. Il faudrait en préciser l’échelle des valeurs – restrictive, exclusive, « je fais parfois de longs détours pour juste recommencer » (Louis, p. 246) ; « cela pourrait paraître juste des traditions, de l’histoire ancienne » (Catherine, p. 217) ; « des petits mots, juste des petits mots, une ou deux phrases » (Suzanne, p. 219) ; « juste en tête l’idée de ma propre mort » (Louis, p. 229) ; « Petit sourire ? Juste “ces deux ou trois mots” » (La mère, p. 240) ; « C’est pas méchant, en effet, c’est plus juste » (Louis, p. 223), etc. ; ce qui apparie la limite ou l’infime à l’exactitude, tous les personnages « essa[yant] de dire » (p. 228), ne cessant pour cette raison de se corriger, de reformuler, de nuancer, en quête du mot juste, dans l’incapacité face à l’urgence (le « peu de temps », p. 235) à « expliquer » – à déplier des liens d’amour, autrement que par ces « phrases elliptiques » ou d’impossibles contournements, « c’est cela / c’est exactement cela, ce que je disais, / les histoires, / et après on se noie » (Antoine, p. 249-250). La matière « verbeuse » ou « prolixe » selon Dolan – « des mots, des mots, des mots », sur un mode moins hamletien qu’à en croire la violente réplique d’Antoine dans le film, « des mots pour nous confusionner, nous enculer avec ». Chacun des cinq personnages aux prises en tous cas avec le « comment dire » ou cette « manière de dire » qu’ils recherchent et qui leur fait défaut.