Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 3 septembre 2016

LINGUISTIQUE DE L'ORDINAIRE


Ils me chantent gaiement leur « bon matin ! » lorsque nous nous abordons. En dépit d’habitudes réglées au fil des mois et des ans, il m’est presque impossible d’anticiper l’expression, si déconcertante toujours à l’oreille. Elle me ramène chaque fois en souvenir au propos savant d’Émile Benveniste : « Dire bonjour tous les jours de sa vie, c’est chaque fois une réinvention ». Certes. Je ne le contredirai pas sur ce point. Et même, aux premiers remous de l’aube, quelle qu’en soit la saison ou la raison, on me trouvera souvent debout, alerte, déjà prêt pour l’événement, attendant de la langue qu’elle me métamorphose et me révèle comme espéré, attendant de devenir comme n'importe qui. Mais l’éminent professeur du Collège de France avait-il prévu cette curieuse variante ? Car si elle dénonce en terre « franglaise » le temps long de l’assimilation linguistique, elle laisse surtout l’interlocuteur, inquiet, dans le pire des embarras. Que dire ensuite ? Économe de nature, soupesant et millimétrant la moindre syllabe, avec mon simple « bonjour ! » j’ai toujours pensé en être quitte avec les convenances, et pour toutes les heures restantes du jour à vivre en société. Mais il n’en va pas de même ici. L’après-midi promet donc d’être muette, et douloureusement solitaire. À moins de téléphoner mieux encore que ponctuer ou saluer chacune des rencontres d'un jovial « allo ! », le répétant en boucle aux personnes déjà croisées quand le code et les manières l’exigent.