Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 11 janvier 2021

NEW DISCOURSES

    https://newdiscourses.com donc, le site fondé par le mathématicien James Lindsay. Ce qui m’arrête en premier lieu, c’est évidemment le rapport à la discursivité d’un versant épistémologique, institutionnel, social et politique considérable de la vie nord-américaine – et en premier lieu de la vie des idées. Ce qui m’intrigue en second lieu c’est le travail d’équipe, de scholars allant des sciences, du droit, de l’économie, de la philosophie jusqu’au cas du documentariste Mike Nayna qui avait couvert les événements d’Evergreen College autour de Bret Weinstein. Le dernier élément est le présupposé se rattachant à la tradition « liberal » de l’éducation et de l’université, selon un spectre allant de la gauche à la droite. Certains articles ont pu me mettre mal à l’aise par leurs réflexes nationalistes ou civilisationnistes. Mais l’intérêt réside dans l’ampleur de la dynamique contre-critique et analytique, l’activité non seulement d’élucidation mais surtout de démystification de la rhétorique et de l’idéologie de l’ultra-gauche autoritaire, classée en conscience « woke ». Ce que Lindsay appelle de son côté « Critical Social Justice Theory » ou sur un mode plus satirique « Grievance Studies » (subsumant par ce biais les travaux des Queer, Ethnic, Women, Black Studies, etc. et leur discours contre l’aliénation et l’injustice). En vérité, bien qu’elle soit sujet à débat, cette association entre « grievance » et critique met aussi le doigt sur une version très particulière des Cultural Studies et de leurs mutations et usages du côté des radicalités activistes, une démarche identifiée par les sociologues Campbell et Manning, la logique moraliste et victimaire. Il y a clairement convergence à ce niveau. En soi ce procès n’est pas nouveau ; mais la singularité de l’idéologie en cause (dont Lindsay affirme qu’elle ne se développe plus vraiment, elle s’institutionnalise plutôt rapidement – dans la sphère académique pour l’essentiel) est bien saisie. À dire vrai, je m’attendais à une lecture ouvertement réactionnaire. Or c’est une perception plutôt modérée qui ressort des textes de Lindsay comme de l’entretien d’une heure avec le journaliste Jan Jelielek (American Thought Leaders). Il s’agit certes d’une critique « libérale » de l’idéologie woke, sans connivence ni sympathie aucune, qui en pointe par conséquent de nombreuses failles et apories. Ce travail de décapage mis à part, il y a deux points de résistance à mes yeux. 1. Dans la généalogie de la CSJT qu’il dresse, Lindsay envisage trois jalons historiques et intellectuels : l’école de Francfort des années 30, l’héritage postmoderniste attaché à la French Theory (Foucault, Derrida, Lyotard), et Herbert Marcuse avec la « nouvelle gauche », auxquels il donne peut-être le rôle le plus prépondérant, notamment dans la critique des mécanismes d’oppression et l’économie de la violence. Sa lecture – très américaine – du socle européen n’est pas pour étonner, elle est toutefois gênante ; pas uniquement par la méconnaissance du corpus français, interprété d’ailleurs à travers l’optique derridéenne-déconstructionniste, mais également les travaux d’Adorno, Horkheimer, Benjamin dont les enjeux sont mal reconstitués. 2. Le paradigme science vs théorie, et Lindsay est mathématicien. Il s’attaque à un corps doctrinal qui s’est enraciné d’abord du côté des humanités, dont les traditions disciplinaires sont différentes sinon irréductibles. Il reste que les manques méthodologiques sont bien perçus, la substitution de la théorie par l’idéologie, enfin l’argument popperien de la falsifiabilité comme l’approche « evidence-based » ou « fact-based » opposent l’importance de la preuve et de la démonstration. Mais cette contre-argumentation n’exclut pas elle-même des présupposés positivistes. Quoi qu’il en soit, c’est peut-être le bilan politique qui se démarque le plus : c’est que si la droite identifie mieux les enjeux de l’idéologie woke d’après Lindsay, et on voit aisément pourquoi, cette dernière s’aliène aussi les gauches, marxiste, libertaire, sociale-libérale, etc. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Au reste, James Lindsay en fait pour terminer une affaire de récit épistémologique, la critique de la Critical Social Justice Theory devant elle-même conduire à un autre « narrative ». New dans New Discourses, cest aussi un changement de paradigme, pas simplement un appel – mais une alternative à construire.