Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 10 janvier 2021

CÉCITÉ

     Dents qui grincent, dents qui rient, à lire Sapiro à propos des États-Unis et de la France valider des notions, sans la prudence épistémologique élémentaire, comme ce lieu commun de « racisme institutionnel », ou cette observation quant au seuil plus élevé d’intolérance des nouvelles générations à l’égard des discriminations : « Le mot d’ordre “cancel culture” est ainsi largement répandu parmi les étudiant.e.s qui se disent choqué.e.s par l’usage, dans certaines œuvres du corpus classique, de termes ou d’expressions désormais bannies de notre vocabulaire, en raison de leurs connotations racistes ou sexistes (par exemple, le mot “nigger”). Cette histoire est néanmoins comparable aux combats contre l’antisémitisme en France et ceux plus récents contre l’islamophobie dans les deux pays. » (p. 18-19). Proposons-lui un billet d’avion gratuit Europe-Amérique pour soutenir une enquête de terrain. Parce que non : précisément – ce n’est pas exactement comparable. Cécité intellectuelle ? Ignorance des enjeux ? Déficit informatif ? D’une part, s’il y a sensibilité et intolérance (voir cependant l’expansion de ce motif, bien identifié désormais, celui de la Culture of Victimhood), la question est de savoir comment on les oriente l’une et l’autre – au plan pragmatique et politique – car l’analyse valide malgré elle la perspective et les usages de la Cancel Culture. D’autre part, vu l’incident d’Ottawa, l’exemple de « nigger » est non moins significatif : le même amalgame entre la présence incontestable de tel vocabulaire dans le corpus classique et la logique ordinaire des discriminations, entre la citation et l’emploi de mots, le manque de sensibilité à l’inverse aux discours sociaux dans lesquels sont immergés de tels textes, l’anthropologie, le genre de société comme l’épistémè dans lesquelles chacun évolue, tous n’étant pas sur le même plan. L’auteure fait l’économie qui est exactement celle des activistes, celle de l’historicité des discours et des représentations. Or c’est sur cette économie que s’enracine entre autres la violence des politiques d’élimination et d’épuration. Je trouve le propos malheureux.