Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 4 janvier 2021

JABLONKA TOUT CONTRE MOI

    En camping-car d’Ivan Jablonka (2018). Cadeau familial d’abord. Lecture à émotions ensuite, violentes pour certaines, de celles qu’on éprouve trop rarement. Il est difficile de ne pas s’y « projeter » tant les similitudes de l’existence, les convergences de dates, les parallèles de tous ordres y abondent. Entre l’essai, le récit, l’autobiographie, et ce double régime de rétrospection et d’introspection qui favorise une autre démarche historiographique, sous forme expérimentale : une histoire du contre-moi et une socio-histoire de l’enfance, comme le pose l’auteur. Beaucoup à dire sur ce camping-car, le Volkswagen instrument de liberté, de vagabondage, de nomadisme, moyen d’explorer les cultures et les passés des sociétés, occasion de réfléchir à ce que veut dire aussi être Européen et être du monde aujourd’hui. Au fil des pages, le retour brutal, affectivement chargé, de la mémoire, des souvenirs, de soi comme cet autre irréversiblement perdu. Dans ce dialogue avec son propre passé, la filiation obsédante du père et du fils, et l’hymne d’amour au père ; quelque chose aussi qui a trait aux mutations de l’enfance puis de l’adolescence ; à ce que signifie finalement le fait de devenir à son tour un homme – et comment. Page conclusive splendide, dans le rituel de passage et de transmission à ses propres filles : « Et quand pour moi l’heure sera venue, j’aimerais reposer sur la banquette du camping-car lancé à pleine vitesse sur l’autoroute, et la mort sera une longue veillée à admirer les lumières d’une banlieue d’Europe – ces coulées d’or en fusion, visibles de l’espace, où nos vies s’égalisent. » (Seuil, coll. « Points », p. 166-167). Ce que dans le jargon de la poétique on nommerait l’évidence artistique. À prendre un léger recul, on se dit enfin que c’est là le genre de livre qu’on ne peut écrire ni lire lorsqu’on a 20 ans. Il nous échapperait. Il ne peut se dire que dans ce temps incertain et complexe qui n’est plus celui de la jeunesse, qui n’est pas encore celui de la vieillesse, le temps de qui a vécu sans avoir vraiment le début d’une sagesse, de qui a vécu assez pour faire confiance à la distance, à l’incertitude, à la patience. Beauté.