Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 10 janvier 2021

L’UTOPIE DU NETTOYAGE CULTUREL : #DISRUPTTEXTS

    Le dernier cri de la « pensée » : https://disrupttexts.org et probablement une autre des pièces manquantes de ce puzzle. En soi, et si l’on regarde les énoncés de mission, la promotion de la diversité des corpus, spécialement des minorités, en regard du canon occidental – un lieu commun (au sens rhétorique) des Cultural Studies comme des Culture Wars depuis les années 80 : « Literature study in U.S. classrooms has largely focused on the experiences of White (and male) dominated society, as perpetuated through a traditional, Euro-centric canon. Ask: What voices—authors or characters—are marginalized or missing in our study? How are these perspectives authentic to the lived experiences of communities of color? » On peut discuter la sous-représentation dans les sphères éducatives et académiques que les quatre auteures (Tricia Ebarvia, Lorena Germán, Kimberly K. Parker, Julia E. Torres) mettent légitimement en cause. Nihil novi. On connaît depuis 40 ans cette chanson. Et l’angle insistant « literacy » et non « literature » ne doit pas non plus tromper sur les objectifs. Mais c’est évidemment les mutations de l’optique qui font problème. Au demeurant, la sémiotique même du titre avec le hashtag en est un premier indicateur, qui en rattache les activités à la dynamique des réseaux sociaux comme à leurs pratiques des contre-discours ou para-discours (sans même évoquer bien entendu dans sa riche polysémie : « disrupt »). Car bien que les fondatrices de #DisruptTexts  s’en défendent, « We do not believe in censorship and have never supported banning books. This claim is outright false. It is a mischaracterization of our work made to more easily attack us, serve an agenda, and discredit the need for antiracist education. », le mouvement dont il y aurait à apprécier exactement la visibilité et l’ampleur s’est déjà distingué précisément par des exclusions du corpus classique – et toutes les accusations dont se rendent coupables nombre de ses textes parmi les plus représentatifs : racisme et sexisme en tête, antisémitisme, discours offensants contre les handicapés, etc., toutes espèces de rejet ou de haine des différences. Ce qui est tenté n’est autre que l’arrimage d’une ancienne question à des pratiques classées dans ce qu’on appelle la Cancel Culture. Le plus important à relever est de même que les gestionnaires et élites dirigeantes relaient les techniques de censure, ce nouveau phénomène non simplement de décanonisation ou déhiérarchisation mais d’exclusion et de prescription prend racine de l’intérieur auprès de professionnels de l’éducation et de professeurs de highschools et de colleges. Les États-Unis étant un terrain d’expérimentation, je ne serai pas surpris qu’à plus ou moins longue échéance la question ne se répande au Canada et au Québec. Il faudrait cependant mieux cartographier les ancrages institutionnels de cette « campagne » idéologique et également spécifier les habitus des acteurs, capital scolaire et culturel, parcours, etc. L’exemple (caricatural par l’incompétence) retenu par les médias (notamment par la droite américaine), celui de Heather Levine, enseignante dans une école du Massachusetts, se glorifiant du fait qu’Homère ait été retiré du curriculum. https://www.cnsnews.com/blog/michael-w-chapman/high-school-teacher-boasts-banning-homers-odyssey-curriculum. Autre cas : Shakespeare, bien sûr. On est toutefois sensible aux justificatifs des différents acteurs qui d’eux-mêmes trahissent les équivoques entourant les représentations littéraires comme si elles constituaient des défenses, des incitations ou des apologies de visions du monde inacceptables, etc. Au-delà des stratégies publiques de prise de parole, ce qui importe est le maillage de ce discours (qu’il serait aisé (et trop rapide) de réduire à du « populisme »), non seulement dans certains milieux éducatifs mais du côté des activistes également. Sans doute le phénomène social est-il probablement circonscrit pour l’instant, il convient de ne pas en exagérer la portée ; mais ce qui importe est l’utopie qui le fonde, puisqu’opère ici une théorie politique de la culture, des cultures : non la promotion déclarée de la diversité mais en raison même des visées normatives (perceptibles aux modes de lecture ou de délecture des textes) une opération de grand nettoyage culturel. Voir l’explication du Capitaine Beatty dans Fahrenheit 451 – Bradbury n’ayant peut-être guère de crédit, j’imagine, puisqu’il fait lui-même partie des « classiques » à bannir…