Retour mise au point sur Gauchet et son
histoire du sujet. Sur les bases d’une instance réduite à « un advenir de
l’individu », issue de surcroît de « la lente division du monde
psycho-social traditionnel », domine une anthropologie dualiste,
ouvertement inspirée de Louis Dumont : holisme vs individualisme. D’un côté, la religion servant d’englobant, il y aurait
eu primat de la communauté sur les individus : nous partons du « général
pour le particulariser » (D, 236) ; de l’autre, à travers l’histoire, la
volonté mise en commun, et le contrat entre les hommes, le rapport entre la
totalité et la partie se serait inversé symétriquement : nous posons
« le singulier au départ, afin de l’universaliser » (id.). Ce qui suppose au demeurant une assimilation conceptuelle discutable entre le particulier, le singulier et l’individuel. Sans
doute entre la monade et le corps d’ensemble qui l’intègre chaque composante
demeure interdépendante. Il reste qu’ainsi polarisé ce modèle limite à une
alternative toute expérience de subjectivation et de socialisation. Les chaînes
d’opposition se poursuivent comme autant de schèmes d’équivalence promus au
rang d’unique rationalité de l’anthropologique. Puisqu’à l’antinomie primitive
de la religion et de l’histoire correspond l’articulation entre holisme et
individualisme, autant de systèmes significatifs peuvent s’en dégager :
sous l’angle holistique, c’est une structure hiérarchique et verticalisée des
liens sociaux qui l’emporte ; sous l’angle individualiste, c’est une
structure égalitaire et linéaire. Ensemble à son tour aisément
réductible : « Dans le monde religieux, la priorité est au pouvoir en
tant que puissance d’ordre. Dans le monde historique, la priorité passe à la
société en tant que puissance de mouvement. » (96). Il est chaque fois un
terme dominé et transformé par l’autre jusqu’à engendrer le paradoxe où
s’enracine l’individualisme. Car lorsque la priorité passe à la société, c’est
l’idée de gouvernement qui se modifie intégralement : du roi qui
monopolise la puissance nous passons au nouvel ordre « libéral et
représentatif » (id.) où s’expriment la nation et chacun de ses
membres. Un syntagme récurrent en concentre alors le ressort
contradictoire : l’idée tocquevillienne de « société des
individus » (DRH, 11) dont l’acte de naissance est 1789. Dès lors qu’à la différence de
la société monarchique « l’atome social » devient logiquement premier,
une difficulté majeure sinon même une impossibilité émergent, celles de
« recomposer une société à partir des individus » (D, 15). Le propos essentiel porte évidemment sur l’itération (re-) comme forme d’intelligibilité des nouveaux
principes de l’organisation sociale. Il témoigne du « problème
inépuisable » voire insoluble que posent ces perpétuelles
« oscillations » (id.) entre le collectif et l’individuel. Au
lieu d’ébranler cette dualité d’origine, la raison dialectique en admet le
fondement : « Une fois admis qu’il y a d’abord des individus, qu’il
n’y a plus au départ que des individus, comment penser leur coexistence, leur
compossibilité à l’intérieur d’une société, comment obtenir, à partir de cette
irréductible pluralité d’existence séparées, une somme collective viable ? »
(id.) À cause de cette distance fondatrice entre sujets, la notion même de pluralité devient ambiguë. Le multiple s’y entend comme nombre, ce qui explique l’analyse quantitative « une somme collective »
– dont l’incidence va aussi bien à la théorie de la société qu’à la théorie du
politique et spécialement la théorie de la démocratie. Classiquement, donc :
l’instance collective entendue comme un tout décomposable.