Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 10 mai 2017

Y A-T-IL UNE SOMME COLLECTIVE VIABLE ? (XXVII. LE DÉBAT OU LA MÉTAPHYSIQUE DU LIEN)


Retour mise au point sur Gauchet et son histoire du sujet. Sur les bases d’une instance réduite à « un advenir de l’individu », issue de surcroît de « la lente division du monde psycho-social traditionnel », domine une anthropologie dualiste, ouvertement inspirée de Louis Dumont : holisme vs individualisme. D’un côté, la religion servant d’englobant, il y aurait eu primat de la communauté sur les individus : nous partons du « général pour le particulariser » (D, 236) ; de l’autre, à travers l’histoire, la volonté mise en commun, et le contrat entre les hommes, le rapport entre la totalité et la partie se serait inversé symétriquement : nous posons « le singulier au départ, afin de l’universaliser » (id.). Ce qui suppose au demeurant une assimilation conceptuelle discutable entre le particulier, le singulier et l’individuel. Sans doute entre la monade et le corps d’ensemble qui l’intègre chaque composante demeure interdépendante. Il reste qu’ainsi polarisé ce modèle limite à une alternative toute expérience de subjectivation et de socialisation. Les chaînes d’opposition se poursuivent comme autant de schèmes d’équivalence promus au rang d’unique rationalité de l’anthropologique. Puisqu’à l’antinomie primitive de la religion et de l’histoire correspond l’articulation entre holisme et individualisme, autant de systèmes significatifs peuvent s’en dégager : sous l’angle holistique, c’est une structure hiérarchique et verticalisée des liens sociaux qui l’emporte ; sous l’angle individualiste, c’est une structure égalitaire et linéaire. Ensemble à son tour aisément réductible : « Dans le monde religieux, la priorité est au pouvoir en tant que puissance d’ordre. Dans le monde historique, la priorité passe à la société en tant que puissance de mouvement. » (96). Il est chaque fois un terme dominé et transformé par l’autre jusqu’à engendrer le paradoxe où s’enracine l’individualisme. Car lorsque la priorité passe à la société, c’est l’idée de gouvernement qui se modifie intégralement : du roi qui monopolise la puissance nous passons au nouvel ordre « libéral et représentatif » (id.) où s’expriment la nation et chacun de ses membres. Un syntagme récurrent en concentre alors le ressort contradictoire : l’idée tocquevillienne de « société des individus » (DRH, 11) dont l’acte de naissance est 1789. Dès lors qu’à la différence de la société monarchique « l’atome social » devient logiquement premier, une difficulté majeure sinon même une impossibilité émergent, celles de « recomposer une société à partir des individus » (D, 15). Le propos essentiel porte évidemment sur l’itération (re-) comme forme d’intelligibilité des nouveaux principes de l’organisation sociale. Il témoigne du « problème inépuisable » voire insoluble que posent ces perpétuelles « oscillations » (id.) entre le collectif et l’individuel. Au lieu d’ébranler cette dualité d’origine, la raison dialectique en admet le fondement : « Une fois admis qu’il y a d’abord des individus, qu’il n’y a plus au départ que des individus, comment penser leur coexistence, leur compossibilité à l’intérieur d’une société, comment obtenir, à partir de cette irréductible pluralité d’existence séparées, une somme collective viable ? » (id.) À cause de cette distance fondatrice entre sujets, la notion même de pluralité devient ambiguë. Le multiple s’y entend comme nombre, ce qui explique l’analyse quantitative « une somme collective » – dont l’incidence va aussi bien à la théorie de la société qu’à la théorie du politique et spécialement la théorie de la démocratie. Classiquement, donc : l’instance collective entendue comme un tout décomposable.