Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

dimanche 7 mai 2017

NAISSANCE DU SUJET (XXV. LE DÉBAT OU LA MÉTAPHYSIQUE DU LIEN)


L’hypothèse métaphysique de la religion ouvre et sous-tend chez Gauchet la catégorie du sujet. Jusqu’à l’avènement d’une historicité essentielle, c'est-à-dire avant tout d’une essentialisation de l’histoire, la cohésion sociale semble d’avance réalisée. Elle s’inscrit entièrement dans l’ordre du présupposé. Elle n’a donc nullement besoin d’être mise en question. En revanche, avec la dissolution progressive du religieux, elle doit être intégralement repensée. Une question inaugurale s’impose : « À quelles conditions une société tient-elle ensemble ? » (D, 41), et l’idée d’une histoire du sujet lui est entièrement corrélée. Plus exactement, interroger ces mêmes conditions revient à « comprendre en quoi il peut y avoir quelque chose comme un sujet » (42). En somme, dans l’un et l’autre cas, il s’agit du même problème envisagé sous deux angles différents. Un premier essai de définition maintient la bipartition chronologique entre un avant et un après : « La subjectivité est un produit typique de la modernité. Elle est, pour être tout à fait exact, le résultat spécifique de la sortie de la religion. C’est dans cette lumière que je propose de redéfinir le sujet. Il me semble que ce foyer permet de donner au concept à la fois une extension et une précision où il trouve sa pleine justification. » (C, 197) Et de nouveau plus loin : « Sujet est le concept qui me semble nommer de manière appropriée ce mode d’être inédit de l’humain en général qui résulte de la sortie de la religion. » (C, 197) Autrement dit, l’extension et la précision du terme ne lui confèrent d’opérativité conceptuelle qu’à condition de lui ôter dans l’immédiat toute forme d’universalité. Le sujet se produit comme événement, il repose sur une coupure historique dont on peut toujours à titre rétroactif percevoir les premiers linéaments. Mais avant que d’être relié à une interprétation personnelle d’ordre religieux, le concept à construire procède d’un appariement stéréotypé : s’il est vrai que le sujet est une catégorie de la modernité, de quelle modernité s’agit-il ? Le texte convoque une désignation englobante et unifiée, la modernité comme synonyme du monde et des temps modernes. Il laisse donc aussitôt échapper la problématisation du concept, amalgame classique des modernités, politique, scientifique, technique, artistique, etc. Seule importe ici la certitude d’une notion apte à décrire le passage du règne de l’hétéronomie au règne de l’autonomie. Gauchet en distingue trois phases : (i) entre 1500 et 1650, l’émergence de l’État-nation « imprimant dans la forme même du lien politique la déliaison du ciel et de la terre » (D, 336) ; au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, « l’explicitation juridique des fondements » (337) de cette forme advenue avec l’État moderne qui se traduit par le développement des philosophies jusnaturalistes et la figure de l’individu de droit ; (iii) à l’époque des Lumières et à partir de la Révolution française, le schéma rationaliste de la conscience historique. En résumé, « l’histoire de la modernité est l’histoire du déploiement de chacun de ces trois vecteurs » (338) : politique, droit, histoire. Elle se concentre unilatéralement sur l’Occident, l’Europe et la France. Elle demeure attachée à un modèle de l’individuation comme individualisation.