Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 9 novembre 2021

CRITIQUE ?

      Peut-être le terme le plus à la mode, celui qui est aussi vidé de son sens : « critique ». Le plus galvaudé. Critical. Assigné aux désignations épistémologiques, institutionnelles, disciplinaires : Critical Race Theory, Critical Social Justice Theory, etc. Déplacements. Déconceptualisations depuis Horkheimer et Adorno. Il faudra bien reconstituer la généalogie « métacritique » de cette perte. Mais le marqueur reconnaissable en terre américaine est devenu signal. Il a la valeur d’une manie. Or ce tic agit également en sens inverse. On le trouve dans un billet d’Éric Fassin par exemple : « La savante et le politique. Défense et illustration des libertés académiques » (Mediapart, 06.06.2021). Il est question des « savoirs critiques », c’est-à-dire des études sur la race, sur le genre, l’intersectionnalité, en y incluant les études postcoloniales et décoloniales. Celles-ci seraient menacées et attaquées doublement et par l’économisme néolibéral et par les instances gouvernementales. Il est certain que l’hexagone se trouve dans une situation diamétralement opposée, les études dominant au contraire de l’autre côté de l’Atlantique le paysage académique. Il est intéressant de relever à cette occasion combien la gauche antiraciste et décolonialiste regarde pieusement vers les États-Unis. À l’époque où elle était encore arrimée au modèle socio-économique (disons : marxiste), on jurait plutôt fidélité à l’URSS… Dans la version qu’elles ont atteinte, ces études se révèlent néanmoins plus politisées qu’efficacement critiques. Du moins leur potentiel critique reste-t-il à déterminer exactement (au lieu de faire de « critique » ici une épithète de nature). Notamment lorsqu’on voit combien elles s’allient harmonieusement au modèle néolibéral de l’université et du capitalisme cognitif. S’il y a bien une « offensive contre l’ensemble des savoirs critiques », encore convient-il de l’identifier correctement. L’usage du mot critique qui prend à rebours « l’illusion de la neutralité axiologique » semble utilement exploité par une rhétorique répandue de la subversion. Il s’accorde pour finir avec une forme de conformisme intellectuel.