Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 5 août 2021

BONNE À PENSER

      Page merveilleuse de Serge Bouchard, dans Le Peuple rieur. Hommage à mes amis innus (en collaboration avec Marie-Christine Lévesque) – digne des poèmes en prose, comme ceux qu’on rencontre dans les grands récits de l’autre, spécialement chez Claude Lévi-Strauss : « J’ai parcouru des centaines de fois la route 138 sur sa pleine longueur, entre Montréal et les plus lointains villages de la Minganie. Douze heures à l’aller, douze heures au retour, le temps de réfléchir aux paysages et à l’histoire, mais aussi à la philosophie de l’être. Montaigne disait qu’on ne pense bien qu’à cheval ; c’est toujours vrai, moi, c’est au volant de ma voiture, lors d’un voyage au long cours, que mon esprit s’attelle à méditer. La 138, avec ses courbes, est idéale pour tourner autour des choses, cette route est “bonne à penser”. À chacun de mes trajets, durant des années, l’infini dans les yeux, le ciel en pleine tête, la mer d’un côté, les épinettes de l’autre, protégé du froid, du vent, de la neige, de la pluie, des mouches par une simple vitre, je me suis plu à donner vie aux rochers, aux petits arbres, aux quais. À l’entrée de chaque village, je m’interrogeais sur le nom des lieux, le nom des gens. Qui était Napoléon Comeau, Ti-Basse Saint-Onge, que signifiait le nom “Bergeronnes ”, d’où venaient ces toponymes : les Îlets-Jérémie, Papinachois, Manicouagan, les Islets-Caribou, la Moisie, la rivière au Tonnerre, la rivière Romaine, et jusqu’à la Natashkuan ? » (Montréal, Lux, 2017, p. 215-216)