Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 21 novembre 2023

VOIR AUTREMENT

    C’est la raison pour laquelle si le personnage se plaît à démystifier la réalité il accepte aussi d’être confronté. C’est ce que dévoile l’une des séquences de contemplation de la fresque, suivant une stratégie on ne peut plus classique de mise en abyme : au regard échangé entre Jacques Cartier, ses hommes et les Autochtones dans la peinture répond celui des trois personnages, Jean-Michel, son ami Raymond et Kanien Montour, l’expert mohawk de Kahnawake qu’ils ont tous deux dépêchée, sans exclure l’œil du public en salle. Alors que Raymond et Jean-Michel n’identifient dans l’œuvre qu’une scène conventionnelle, la rencontre des Européens avec les peuples du Nouveau Monde, Kanien leur oppose sur un ton triste et ému : « cette fresque annonce un génocide ». En sortant, elle confond à leur tour les militants qui font le siège de la résidence, des Blancs déguisés en habits autochtones traditionnels. Mais contrairement à eux, elle n’exige pas de bannir ou d’effacer la fresque. Elle la fait parler, lui redonne son éloquence perdue, celle d’une funeste prophétie, les horreurs à venir de l’histoire. Elle fait advenir ce qui n’est pas visible dans la représentation. Si l’on veut, elle suggère aux deux amis (et à travers eux aux spectateurs du film) de la voir autrement et, en premier lieu, selon la perspective autochtone. Et cette question – comment voir – est aussi celle de la création cinégraphique, bien évidemment.