Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 1 décembre 2021

ASYMÉTRIE

   Texte dense et fascinant de Paul Ricoeur, « Réforme et révolution dans l’Université », écrit dans l’aftermath immédiat de la crise de Mai (Esprit, juin-juillet 1968, n° 372 (6/7), p. 987-1002). Conciliation entre « l’exigence de gestion » et « l’exigence de contestation » (p. 1000), la perspective est celle d’une « nouvelle répartition de la parole » (p. 1001), incompréhensible sans la pratique alors verticalisée et mandarinale des savoirs, au nom d’un impératif de « justice sociale » (p. 987). Ouverture non seulement aux questions déployées par les acteurs et les observateurs contemporains (voir Michel de Certeau) ; résonance quant aux enjeux actuellement débattus. Et Ricoeur considère chacun des étages : la relation d’enseignement, les structures paritaires, départements et facultés, l’université elle-même. Ce qui frappe d’abord, c’est la reprise du lieu commun marxiste, la domination de classe entre enseignant et enseigné, auquel on a substitué désormais la domination de race, après être passé théoriquement du schéma économiste au modèle culturel d’inspiration plus gramscienne. Ce que Ricoeur perçoit surtout, et démystifie, c’est l’utopie qui gouverne le rapport pédagogique, et nombre de théories en éducation s’y sont cependant engouffrées : celle qui consiste à penser que « l’enseigné s’enseigne lui-même, par le moyen de lenseignant ; celui-ci sinsérerait dans le processus dauto-enseignement à la façon d’un instrument, tel un livre, un manuel, voire un fichier ; l’enseignant serait ainsi un document vivant, un expert que l’on consulte. Tout partirait de l’enseigné et y reviendrait. » (p. 991). En 1968, l’auto-enseignement est une variante de l’auto-gestion. En 2021, l’auto-enseignement est une variante du New Management. Il prend la forme des savoirs expérientiels, pleinement centrés sur les atomes individuels, des savoirs que les universités seraient tentées d’intégrer au processus de diplomation et à la valeur-crédit des formations. Mais ils reposent sur une mythologie similaire de l’auto-enseignement. À quoi Ricoeur opposait déjà « une relation non symétrique, mais non point à sens unique » entre enseignant et enseigné : « le contrat » qui les lie « comporte une réciprocité essentielle, qui est le principe et la base d'une collaboration » (p. 989). C’est cette asymétrie constitutive de la relation pédagogique qui a été interprétée au prisme du pouvoir (avec les amalgames corrélés entre pouvoir et autorité, pouvoir et domination).