Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

samedi 25 décembre 2021

EN DANGER ?

      Entretien d’Olivier Beaud, à l’occasion de son livre Le Savoir en danger, sur France Culture : La liberté académique est-elle en danger ? (22 décembre 2021).

jeudi 23 décembre 2021

CRITICAL

     Retour à cet emploi urticant – manie contemporaine, tic verbal ou expression compulsive ; signal peut-être plus que signe, et signe de ralliement et, de manière notoire, ralliement idéologique. Automatisme de la pensée. Épithète de nature – presque redondance, en veux-tu en voilà : critical legal studies, critical social justice theory, critical theorists, critical race theory, etc. Il s’agit – je cherchais le mot depuis longtemps – d’un usage moins performatif que trop souvent incantatoire. Il reste qu’il représente un point à la fois philologique et théorique (voir aussi anglais vs français). Objectif : en faire la genèse.

TENUE

       Le point exemplaire que représentent Baudelaire et d’autres au milieu du XIXe siècle pour ce qui a trait à la lutte en faveur de l’autonomie de l’art, de sa spécificité, est doublement instructif pour les enjeux entourant actuellement la recherche. L’auteur y déborde à la fois sa droite – orléaniste et bonapartiste – mais aussi les gauches du temps, des anarchistes mutuellistes aux fouriéristes et autres socialistes utopistes, etc. La puissance critique, la puissance éthique de l’art – de la recherche, ne résident pas uniquement dans l’acte de résistance à ces influences ou  à ces pouvoirs contemporains ; mais dans la tenue d’un point de vue spécifique – irréductible.

mardi 21 décembre 2021

L'APPEL À LA RADICALITÉ MARCHANDE

         Dans la réorientation utilitariste des savoirs et des enseignements, à laquelle contribuent le courant de justice sociale – Critical Social Justice Theory – et ses multiples rameaux, on assiste : a) sur le plan politique, à la conversion définitive de la gauche culturelle au néo-libéralisme – qu’elle n’est pas parvenue au cours des trois décennies à combattre ; ou à l’émergence d’une forme progressiste de néolibéralisme – appelée à faire des ravages, parce qu’elle va lui permettre de mettre rapidement à exécution ses basses œuvres ; b) sur le plan académique, à une marchandisation de la « radicalité » : et de récentes rencontres au sein d’organismes de financement de recherche se révèlent convergentes à ce sujet. On y fera la promotion de profils « moins purement académiques » (citation)… en le justifiant par le fait qu’il s’agit de monnayer les maîtrises et les thèses, qui toutes ne peuvent conduire assurément à exercer le métier d’universitaire. L’autre morceau, explicitement politisé, c’est par exemple le gestionnaire décolonial, étrange créature des temps modernes. Ainsi : Christopher Manfredi, vice-principal aux études de l’Université McGill, qui lançait dans les journaux « un appel à l’action pour les universités également » lors de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation au Canada : il y vantait les mérites de « l’autochtonisation […] des études supérieures » ainsi qu’un milieu d’apprentissage inclusif en recourant à la théologie de l’éveil : « Nous reconnaissons les profondes injustices commises dans les pensionnats et rendons hommage aux enfants qui y ont péri ou qui ont survécu aux souffrances qui leur ont été infligées dans ces établissements, ainsi qu’à leurs proches. » (Le Devoir, 30.09.2021.) Un procédé qui se dispense bien évidemment de recourir à une enquête sérieuse et détaillée sur la situation pour le moins complexe de ces pensionnats dont le but avoué était de « civiliser » les populations autochtones. Mais entre repentir et prise de conscience, la justice sociale devient ici un argument de marketing. Le but est de toucher la sensibilité du jeune public et de l’attirer. Technique racoleuse que l’on trouve par exemple à l’œuvre dans le département de géographie de ce même établissement. On y fait le tapin auprès du client, par une tonitruante profession de foi BLM et antiraciste, aussi convenue que répandue : « We call for justice for all those whose lives have been tragically ended or affected by recent encounters with the police in the US and Canada. We stand with all Visible Minorities and Indigenous members of our university community, and we strive to make our community one that is safe and respectful for all our members. In our Department this includes the work of the Equity, Diversity, and Inclusion Committee, ongoing revisions to our hiring process to improve diversity, sensitivity to how our assumptions may be racist, and continued efforts to increase diversity across our student population. » Call for et Stand with : le courage de lengagement  !

lundi 20 décembre 2021

CODIFIER

  Côté américain, une lecture convergente de Jonathan R. Cole dans Science (09.12.2021): « Academic Freedom under Fire ». Au terme d’observations similaires, marquant la précarité sinon la fragilité de la liberté académique, il faudrait « educate the public and the legislators » à ce sujet. L’option juridique se fait jour également : « An update to these principles that ensures the free search for truth and its free exposition in the name of the common good would fortify academic freedom and potentially be codified into federal law. »

dimanche 19 décembre 2021

DISTINGUO

    La mise au point est nécessaire, tant dominent les raccourcis et les amalgames dans le débat public, l'incapacité à comprendre que la loi n'est pas une ingérence dans les activités (enseignement et recherche) mais vise à protéger la liberté universitaire, et devient la condition à ces mêmes activités : « Les Années Lumière » sur Radio-Canada : Rapport sur la liberté académique (19.12.2021, 12 h 27), chronique d’Yves Gingras, l’un des commissaires.

jeudi 16 décembre 2021

ÉCHOS DU TEMPS

     Au milieu d’échos divers (Radio-Canada : 14.12.2021), réaction intempestive – et de pur principe – de certains recteurs, spécialement de Daniel Jutras (UDM) et de Pierre Cossette (Sherbrooke), qui ne brillent ni par leur lucidité et ni par leur connaissance du rapport, quitte à être dans le rejet des mesures et des faits (une rhétorique du temps, que l’on entend beaucoup, autour du récit sanitaire par exemple). Impossible de ne pas leur rappeler qu’une commission, établie par décret ministériel, a siégé à cet effet, que des débats et des auditions ont eu lieu et que l’on y a entendu leurs voix ; impossible de ne pas s’objecter au comportement petit-patronal de recteurs qui s’imaginent à la tête d’une PME, sans perception réaliste du terrain, alors qu’une université – en vertu de l’héritage européen médiéval – est et continue d’être un collège de professeurs. À quand la fin des dénis et des raccourcis simplistes ? Réponses favorables à gauche (La Presse) et à droite (Le Journal de Montréal). Ou dans The Globe and Mail (16.12.2021).

LE LABORATOIRE DES DÉMOCRATIES

    Ce n’est pas tant la proposition – forte et proportionnée au diagnostic – d’une loi que les enjeux attachés à cette proposition qu’il importe peut-être de commenter dans l’immédiat. Il s’agit de définir entre autres la mission de l’université, la liberté académique et les bénéficiaires de cette liberté. Cela se doublerait de l’obligation pour les établissements de se doter d’un comité portant sur la mise en œuvre de la liberté académique et le règlement des litiges, mais en contrepartie dans le respect de l’autonomie institutionnelle, puisque chaque université déciderait elle-même des formes et de la composition de ce comité. C’est aller plus loin que l’énoncé-cadre auquel a d’abord songé le Premier Ministre du Québec en février 2021. Il reste que la proposition est justifiée par un diagnostic global de la situation, notamment du fait de l’extension des phénomènes de censure (et d’autocensure) dans le milieu universitaire. Une loi servirait donc de norme nationale, elle remettrait à niveau les établissements de la province, et limiterait les inégalités de traitement d’une institution à l’autre. Elle s’inscrirait plus largement dans une vision historique, en comblant une carence datant de la Révolution tranquille. Elle renforcerait enfin l’autonomie des universités au lieu de la fragiliser. Pourtant, le nœud véritable est encore ailleurs, dans ce fait primordial que « le Québec aurait ainsi l’occasion de devenir l’un des endroits au monde où la libre circulation des idées dans le milieu universitaire serait la plus valorisée et la mieux protégée. » (p. 61) Ceci pour rappeler, comme pour maintes autres sociétés, que l’université, lieu du savoir et de l’enseignement, est le premier laboratoire de nos démocraties – là où elles s’inventent et s’expérimentent.

TRAVERSÉE

     À la lecture du rapport, ce qui frappe c’est outre la richesse avec laquelle sont documentés (et mesurés) les problèmes et les enjeux, et le tableau assez sombre des témoignages des mécanismes de censure et d’autocensure, ce sont les contributions autour de la proposition de loi ; de la liberté d’expression et de la liberté académique ; le droit d’apprendre en passant par Humboldt ; des points à développer : le rapport demeure discret et rapide sur les « EDI », dont les bureaucraties et la portée financière sont pourtant centrales (en plus de revêtir des aspects politiques entre le fédéral et le provincial) ; le rôle des médiaux sociaux et de la cyberintimidation, noté mais peu exploré ; ou encore les liens entre liberté académique et déontologie professionnelle. 

RAPPORT DE LA COMMISSION

      En date du 14 décembre, remise officielle du rapport de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique en contexte universitaire : Reconnaître, protéger et promouvoir la liberté universitaire (pdf, 71 p.), suivi d’Annexes (pdf, 149 p.). Conférence de presse : https://www.youtube.com/watch?v=74U-HCFreF4. Un modèle du genre.

vendredi 10 décembre 2021

L'UNIVERSITÉ SOUS PRESSION

     

Argument, vol. 24, n°1, Montréal, Éditions Liber, 182 p. Textes de Daniel Tanguay, John Scott Cowan, Amadou Sadjo Barry, Normand Baillargeon, Micheline Labelle, Johanne Villeneuve, François Charbonneau, Sophie Biron, Arnaud Bernadet, Daniel D. Jacques, Maxime Prévost, Pierre Hébert, Hélène Robitaille suivis de « Les transformations de l’université : de l’Église au marché » par Yves Gingras.

mercredi 8 décembre 2021

ACADEMIC LEFT

      Ce n’est pas sans un certain humour que je relève cette expression : en langue française, on gagne sur l’équivoque et le double sens ouvert de « académique », institution universitaire et routine dogmatique. La gauche académique... Au reste, c’est le réseautage de Liu qui surprend le plus, dans cette critique de la gauche par la gauche, de celle qui donne dans le woke capitalism ou le néolibéralisme progressiste. D’abord, la filiation avec Jacobin, magazine activiste. Ensuite, le réseautage par Paris Ouest Nanterre et François Cusset entre autres. Instructif.

INSÉCURITÉ

     Aussi cette observation matérialiste que la conception libérale de la liberté académique et d’un certain idéal de l’université dans les années 1945-1972 contraste avec le climat d’insécurité économique et professionnelle de la PMC actuel. Si je comprends bien, cette insécurité a une traduction académique sur le mode de l’insécurité émotionnelle, de l’insécurité culturelle, elle se décline en autant de « sentiments » ou de pratiques dont la fonction idéologique première est de dissimuler la raison d’être – très matérielle – de cette insécurité en forme de « conscience de classe ».

SEX PANICS

      Catherine Liu : fin. Des analyses convergentes entre les luttes de la PMC contre la working class, le mépris social et le démantèlement du Welfare State. On goûte en particulier la charge contre l’administration Obama et la « sex panics » causée sur les campus autour du renforcement de Title IX, notamment à travers certaines de ses conséquences désastreuses ; ce que ce paradigme comme l’entrée « raciale » permet de gérer à l’échelle des campus – et non de la société dans son ensemble – des écarts et violences socio-économiques. Des mesures en phase avec les offensives néolibérales – au lieu d’une « economic redistribution » (p. 68).

mardi 7 décembre 2021

CAPITALISME ET CANCEL CULTURE

    On se disait aussi. Il devait bien y avoir une explication à ces travaux et annonces géantes et colorées : « Rimer Building ». Comme quoi : la cancel culture et le capitalisme font très bon ménage, et un mariage des plus heureux, ceci confirmant cela – en plus d’effacer un morceau dans la culture et la littérature du Canada. On goûtera en tous cas l’ironie d’Alan Freeman : How Stephen Leacock will disappear from the McGill Campus (iPolitics, 02.12.2021)

ANTICAPITALISME ET ANTIRACISME

      Un cas intéressant dans les dates et les événements de la décennie sociale qui vient de s’écouler. On le perçoit en plusieurs lieux. Mais des mobilisations contre la hausse des frais de scolarité décidée par le Parti Libéral du Québec en 2012 à la loi de la ministre Hélène David en 2017 sur les violences sexuelles, du mouvement Occupy à George Floyd, il est néanmoins un point commun entre tous ces faits qui, de toute évidence, ressortissent à des cadres sociaux et culturels très différenciés et n’appellent pas, en conséquence, les mêmes explications : les préoccupations en termes de « genre » et de « race » semblent occuper dorénavant l’avant-poste des luttes, et mettre davantage dans l’ombre des enjeux économiques, qui pour autant n’ont pas disparu, et se sont même aggravés. Comme si le paradigme culturel devait prendre ici en charge l’échec des mobilisations anticapitalistes qui ont suivi la Grande Récession de 2008. La réalité est plus complexe et nuancée, mais il y a quelque chose de cet ordre-là, un shift certain, et des articulations qui ne se font plus, dont le pis-aller appelé intersectionnalité permet de nourrir la bonne conscience sociale, mais pas la pensée.

OWS

     Cette analyse se coordonne à celle que propose Catherine Liu dans Virtue Hoarders. The Case against the Professionnal Managerial Class, charge explicite contre la gauche culturelle, venue des rangs d’une adepte de la ligne Bernie Sanders : mise au jour des tensions entre la PMC et la working class américaine depuis les années 1990 et autour de la Great Recession de 2008. Aussi : la composante sociologique du mouvement Occupy Wall Street : « downwardly mobile, male, young, white, educated at an elite university, and in student loan and credit card debt » (p. 25-26).

SMUGNESS

   De loin, l’un des lieux communs qui résonne le plus, et des plus troublants aussi, cette attitude « smug » à souhait qui consiste, en plus de la certitude vertueuse, à vouloir éduquer l’autre – parce que l’on possède soi-même, la raison, la culture, les lumières, et qu’il importe d’y soumettre ceux qui sont dans l’ombre. Cette smugness est l’expression de ce qu’on appelait autrefois une conscience de classe. Elle s’entend beaucoup dans les sphères du pouvoir, dans les ateliers de formation diversitaire, les logiciels de rééducation woke en milieu entrepreneurial. Elle est inséparable des classes dirigeantes et manifeste un vieux conservatisme social : éclairer le peuple, les masses. Mais le lieu commun s’est beaucoup déplié, notamment à l’occasion des élections fédérales, à l’adresse des francophones et des Québécois venant du Canada anglais. L’axe culturel double en quelque sorte l’axe social. C’est l’un des symptômes de l’évolution en particulier des gauches, et notamment du paradigme identitaire, que repère très bien Michel Roche, et qui est inséparable dans sa genèse de la stratification éducative : le mépris et le racisme de classe exercés par la gauche culturelle, à rebours des affects populaires, qui prend la forme d’un « néo-libéralisme progressiste » (Nancy Fraser). Voir son texte : « La gauche identitaire dans les eaux côtières du mépris de classe » (Identité, « race », liberté d’expression, déjà cité, p. 187-204).

mercredi 1 décembre 2021

ASYMÉTRIE

   Texte dense et fascinant de Paul Ricoeur, « Réforme et révolution dans l’Université », écrit dans l’aftermath immédiat de la crise de Mai (Esprit, juin-juillet 1968, n° 372 (6/7), p. 987-1002). Conciliation entre « l’exigence de gestion » et « l’exigence de contestation » (p. 1000), la perspective est celle d’une « nouvelle répartition de la parole » (p. 1001), incompréhensible sans la pratique alors verticalisée et mandarinale des savoirs, au nom d’un impératif de « justice sociale » (p. 987). Ouverture non seulement aux questions déployées par les acteurs et les observateurs contemporains (voir Michel de Certeau) ; résonance quant aux enjeux actuellement débattus. Et Ricoeur considère chacun des étages : la relation d’enseignement, les structures paritaires, départements et facultés, l’université elle-même. Ce qui frappe d’abord, c’est la reprise du lieu commun marxiste, la domination de classe entre enseignant et enseigné, auquel on a substitué désormais la domination de race, après être passé théoriquement du schéma économiste au modèle culturel d’inspiration plus gramscienne. Ce que Ricoeur perçoit surtout, et démystifie, c’est l’utopie qui gouverne le rapport pédagogique, et nombre de théories en éducation s’y sont cependant engouffrées : celle qui consiste à penser que « l’enseigné s’enseigne lui-même, par le moyen de lenseignant ; celui-ci sinsérerait dans le processus dauto-enseignement à la façon d’un instrument, tel un livre, un manuel, voire un fichier ; l’enseignant serait ainsi un document vivant, un expert que l’on consulte. Tout partirait de l’enseigné et y reviendrait. » (p. 991). En 1968, l’auto-enseignement est une variante de l’auto-gestion. En 2021, l’auto-enseignement est une variante du New Management. Il prend la forme des savoirs expérientiels, pleinement centrés sur les atomes individuels, des savoirs que les universités seraient tentées d’intégrer au processus de diplomation et à la valeur-crédit des formations. Mais ils reposent sur une mythologie similaire de l’auto-enseignement. À quoi Ricoeur opposait déjà « une relation non symétrique, mais non point à sens unique » entre enseignant et enseigné : « le contrat » qui les lie « comporte une réciprocité essentielle, qui est le principe et la base d'une collaboration » (p. 989). C’est cette asymétrie constitutive de la relation pédagogique qui a été interprétée au prisme du pouvoir (avec les amalgames corrélés entre pouvoir et autorité, pouvoir et domination).

NOUVELLES HUMANITÉS

    La réélaboration du concept des Humanités n’est pas sans coût. Mais elle est faite de préservation, ou d’attachement au « concept conservateur et humaniste », « les anciens canons », dont, ajoute Derrida, « je crois qu’ils doivent être protégés à tout prix », mais protégés de quoi ? et de qui ? et pour quelles raisons ? On n’en saura pas plus – pas plus que ne sont par ailleurs mentionnées les Culture Wars en cours dans l’université états-unienne, et la reconfiguration du paysage académique qui en découle. Les nouvelles Humanités incluraient « le droit, les théories de la traduction, puis ce qu’on appelle, en culture anglo-saxonne dont c’est une des formations originales, la “theory” (articulation originale de théorie littéraire, de philosophie, de linguistique, d’anthropologie, de psychanalyse, etc.) » dont Derrida est pas mal l’un des inspirateurs centraux, « mais aussi, bien sûr, en tous ces lieux, les pratiques déconstructives. » (p. 22).

ÉTUDIANT

    Encore : L’Université sans condition. L’obsession entre le dedans de l’université – et la question de la souveraineté – le pouvoir – sa propre souveraineté (« l’université est sans pouvoir propre », p. 18, ce que dément l’expérience, et la sociologie de milieu la plus élémentaire – et la résistance aux « forces du dehors » (p. 78). Aussi : la tentative de démarquer la ligne « entre l’université et le dehors politico-économique de son espace public » (p. 14) comme si cela était même possible. Ce principe de divisibilité tend à essentialiser l’université. Il se fonde sur un deuxième angle mort. Il est question de savoir et de vérité, de profession de foi et de professorat – mais pour qui ? à destination de qui ? L’étudiant et à travers lui la société est la grande figure absente du texte.

PASSER OUTRE

     Derrida, L’Université sans condition (Galilée, 2001). Dès la page liminaire, dans l’énonciation philosophique des termes, le problème fait obstacle, résiste : « Cette université exige et devrait se voir reconnaître en principe, outre ce qu’on appelle la liberté académique, une liberté inconditionnelle de questionnement et de proposition, voire, plus encore, le droit de dire publiquement tout ce qu’exigent une recherche, un savoir et une pensée de la vérité. » (p. 11-12). Au détour de la phrase : outre ce qu’on appelle la liberté académique – et l’on se demande bien à quel consensus définitionnel Derrida songe exactement. Mais le propos signale et évacue d’un même geste la « liberté académique », qui devrait pourtant être logiquement la condition de l’inconditionnalité que le texte défend. Plus encore, le droit de dire publiquement – qui ressortit à la liberté d’expression – et la recherche, le savoir, la pensée de la vérité, qu’est-ce donc sinon la liberté académique ? ou partie de cette liberté conçue sous l’angle de la recherche, notamment ? Quoi qu’il en soit, une réflexion sur l’université se doit de situer et comprendre ce concept-là, mais il est remarquable que Derrida s’abstient de le déconstruire, en le laissant à la marge. Voir l’étude très incisive d’Olivier Beaud à ce sujet, « La liberté académique en France : un silence instructif », Commentaire, n°175, automne 2021, p. 631-641.