Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 29 mars 2019

NON-PHRASE

En guise de retour au noyau prépondérant de la poétique qui suit Mobile, parce qu’il est inséparable précisément du discours de l’histoire et de ses « régions cachées » il apparaît que « la phrase est tellement étendue qu’elle dépasse le volume lui-même » (Entretiens, t. II, p. 302) et même « tous les éléments qui sont à l’intérieur de Mobile peuvent être compris comme les détails d’une phrase immense, se reposant de chapitre en chapitre ; une espèce d’arche qui va prendre tous les éléments grammaticaux à tel point que la différence entre phrase et non-phrase est abolie, ce qui produit un ensemble de fonctions grammaticales à toutes sortes de degrés. » (ibid., p. 303). Et le principe en est tiré jusque dans ses ultimes conséquences, à travers des œuvres postérieures, en cours : « Dans le dernier livre que j’ai publié, Troisième dessous, le dernier de Matière de rêves, il y a des passages avec des phrases extrêmement longues, des phrases quasi infinies » et des moments où le texte est organisé « autour d’une phrase sans sujet » (id.), uniquement faite de verbes et de compléments. Ainsi :
       1. Le rapport phrase / non-phrase met en crise l’histoire même du point de vue linguistique, spécialement grammairien, il récuse la logique des modèles ;
       2. Il confronte le lecteur à ses habitudes classificatrices ; entre le reconnaissable et le méconnaissable, ce qui en est et n’en est pas, y ressemble et lui échappe.
       3. Et finalement : la phrase-volume, cette phrase all-over à la manière de Pollock dans sa peinture, cette phrase est également à comprendre à travers ses constituants comme autant de « détails » dans le mouvement de son illimitation ou de sa démesure, « immense ».
       4. L’épopée du détail – l’américanité minuscule procède de la poésie longue du phrasé – cette phrase déroule la carte et l’histoire dans Mobile par noms et lieux de villes et d’états ; elle s’accumule sur le modèle de la goutte d’eau et s’unit en cataracte puis fleuve dans 6 810 000 litres d’eau par seconde.
       5. Mais l’américanité ne peut pas être posée a priori : sa mesure – l’immense, l’énorme, le minuscule et le point – ressortit à l’unité de la phrase-volume.