Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 28 octobre 2022

CHANCELER OU CANCELLER ?

     Il y a probablement d’autres explications à la résistance de l’emprunt anglais. Ce qui est drôle, comme toujours, c’est la circulation et le métissage des langues. Le miroir français-anglais. À la base, le couple « annuler » et « annulation » qui consiste à « rendre nul », une valeur courante dans le domaine juridique (annuler un contrat), s’applique mal en revanche à un être animé ou humain (annuler une vedette de cinéma). Les locuteurs québécois proposent une version hybride, sous la forme apparente d’un anglicisme : canceller entrerait ainsi dans le paradigme des verbes checkerjammer, kicker, shifter, focuser. Le verbe anglais combiné à la désinence du premier groupe de conjugaison du français, comme cela se produit fréquemment ici. À titre prescriptif, l’Office québécois de la langue française peut donc déclarer : « En langue courante, les mots canceller et cancellation viennent des formes anglaises to cancel et cancellation. Ils sont utilisés principalement à l’oral et devraient être remplacés par annuler et annulation. » (https://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=990). Sauf qu’au sens strict, c’est erroné. Car avant que cancel culture ne s’exporte, to cancel a ses origines en langue romane (le verbe français canceller) de sorte qu’il est possible que la forme québécoise tienne autant sinon plus à l’ancienne morphologie du français (du moins l’item est attesté dans le système) qu’à l’influence de l’anglais. De ce côté, synonyme de revoke, annul, delete ou eliminate, mais aussi, c’est capital pour comprendre le phénomène social, neutralize or balance in force or influence, le champ primitif du mot est le droit : l’acte par lequel on met fin à la légalité d’un document. Il n’est pas inintéressant de comparer ce trait sémantique à l’emploi contemporain (annuler quelqu’un), l’objectif étant alors de soustraire à titre public toute espèce d’autorité et de légitimité à la personne visée. Au reste, le mot est issu au XIIIe siècle de chanceler (bas latin : cancellare – et chanceler n’est pas étranger au sens de neutraliser ou rééquilibrer dans l’ordre de la force ou de l’influence, on est sur ce champ-là). S’il consiste à « annuler un acte à traits de plume parallèles ou croisés », canceller conserve cette définition technique jusqu’aux XIXe et XXe siècles. Dans les deux langues, il renvoie au fait de biffer ou rayer par des croix (markcross out), et ce qui vaut pour un timbre postal ou un chèque bancaire s’étend à la révision ou à la correction d’un texte. En ce sens, le geste graphique de rature au même titre que l’omission matérielle de mots contient potentiellement une interprétation en termes de censure. Scholie : à noter côté anglais, les petites subtilités et sensibilités orthographiques –canceled (USA) vs cancelled (UK) mais cancelation est rare.