Les petits malaises dans
la lecture ont des raisons obscures qu’il est parfois difficile d’élucider. À
reprendre pour les besoins de l’information le volume collectif sous la
direction de G. Philippe et J. Piat, La Langue littéraire. Une histoire de la prose
en France de Gustave Flaubert à Claude Simon (Fayard, 2009), je ne parviens pas à surmonter
ce sentiment malgré l’érudition et les documents dûment convoqués à l’appui de la
recherche. D’abord, l’effet de déjà-vu, les similitudes avec Ferdinand Brunot,
comme si l’on entreprenait de faire du neuf avec de l’ancien. Ensuite, la
coupure inhérente au corpus : le focus est disposé sur la prose, sans que par
exemple la poésie ou le poétique auxquels les chapitres se rapportent
régulièrement constituent un objet et/ou un champ de questions à part entière. Cette
coupure renvoie l’image d’un travail par défaut et, de fait, les objections
abondent contre certains arguments ou conclusions, qui partent spécialement de
la poésie. Mais la mise à l’écart du théâtre n’est pas mieux justifiée. À
terme, le schéma historiographique, relativement instable d’ailleurs, plus ou
moins borné, avec des indéterminations : l’âge classique jusqu’en 1850, la
dominante rhétorique, le modèle oratoire et la période ; de 1850 à la Seconde Guerre
mondiale, le moment grammatical et la « phrase » – particulièrement les
années 1920-1930 ; l’après-guerre, les expérimentations textualistes et le
tournant linguistique énonciatif. Les œuvres considérées individuellement répondraient
néanmoins très variablement à ce cadre chronologique. Enfin, les catégories
massives : la phase impressionniste-phénoméniste, qui promeut la sensation
(1850-1920), la phase endophasique (1920 – l’effet Dujardin et Joyce, le
monologue intérieur), la phase phénoménologique (1945-1980), chaque séquence
rapportant la langue et spécialement le domaine de la syntaxe aux mécanismes et
aux contenus de pensée. Comme si les productions littéraires de la deuxième
moitié du XXe siècle pouvaient être unifiées ou subsumées par exemple sous l’appellation
de « phénoménologique » (« l’écriture phénoménologique »,
p. 115). Ou la théorie du sujet se réduire à un modèle cognitif-perceptif. Et
cette histoire se cherche des parrainages du côté de la science : Victor
Egger, Jean Charcot, de Broca, Georges Saint-Paul (sans mention aucune à côté
de la psychiatrie de la psychanalyse naissante et du rôle qu’elle aura joué
auprès des écrivains). Et pour finir les écoles qui ont remodelé le plus
clairement après-guerre le champ linguistique français, à prédominance
mentaliste : Chomsky, Guillaume, Culioli (l’évidence de ce constat étant tellement
partagée qu’elle rend la preuve inutile, et qu’il devient encore plus superflu
de la mesurer aux variantes formalistes – distributionnaliste, structuraliste,
fonctionnaliste…)