Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 13 février 2017

LA PHRASE CONTINUÉE (II)

Ce ne sont pas les catégories a priori de la langue, redevables de l’épistémologie du signe, qui permettent de rendre compte, bien sûr, de cette phrase continuée. Mais par exemple : la pâte mots de Tarkos (« La phrase et sa pâte. Pâte mots » / « oui » – Écrits poétiques), le blocs de KHA-KHA d’Artaud, le point de Péguy, la ligne et le pli de Michaux, les borborygmes de Larbaud, les coups et les traits de Corbière. Etc. La liste est longue. Il faut bien leur faire un sort à ces termes-là. Ce ne sont pas des notions. Tout juste. Encore moins des concepts. Balbutiants. Et ils ne passent pas l’épreuve de la logique, tout en étant systémiques. Centraux. Porteurs des œuvres et des valeurs. Des mots à virtualité théorique. En chemin vers un concept, dont ils n’ont ni la rationalité ni la clarté et dont au final ils se dispensent tout à fait. Au sens où ils n’ont pas un strict rôle de vicariant. Images. Métaphores. Métonymies. Selon la rhétorique classique : des tropes. Non-concepts ou demi-concepts, allez. Détours de la langue en tous cas, figures d’un sens pour l’autre, ces tropes sont en même temps propres au poème et à lui seul. Du poème ils représentent la forme nécessaire, l’expression la plus adéquate, dans la mesure où ils énoncent ce qui ne pourrait se dire différemment. Car ils mettent au jour les rapports de l’écrivain à l’expérience de la phrase, et donnent tout son sens à son caractère d’événement. Insistants ou récurrents, ils créent un effet de cohérence, ils deviennent alors les catégories de l’expérience discursive. Non des formes a priori de l’entendement humain, à la sauce kantienne. Cela ne signifie pas qu’ils sont ou font la théorie manquante de la phrase et de son expérience. De quoi tiennent-ils lieu cependant ? D’une poétique en cours, qui est encore sans nom, autrement inqualifiée et inqualifiable, mais qui les rend aptes à désigner l’invention de la phrase. Et le phrasé est peut-être le premier de ces tropes de nature théorique – celui auquel il conviendrait de donner la consistance d’un concept – mais cela ne peut se faire en retour que par le truchement de ces non-concepts semi-concepts, aberrations ou monstres logiques. Car ce sont d’abord des mots, c’est-à-dire les marques de discours qui en motivent les valeurs. Ce sont ensuite des mots « pour savoir » (Exécutoire) comme le dit Guillevic, porteurs en soi d’inconnaissance. On ne parle pas ici d’une absence ou d’une négation de la connaissance mais tout au contraire d’une connaissance en train de se faire, c’est-à-dire des termes potentiels d’une épistémologie. Ou si l’on veut : un savoir du singulier sur lequel peut à rebours prendre appui une pensée de la phrase continuée.