Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mercredi 15 février 2017

PENSER À TÂTONS

Et la beauté d’ensemble de cet ouvrage qui n’en est pas un est son allure. Penser à tâtons. Essayer des propositions comme énonciations et reformulations. De nouveau. Est-il cependant une pensée qui procède autrement ? Avec des clartés, des fulgurances, des butées, des contradictions ou des hésitations. Des intuitions aussi à remplir ou à éprouver. Peu de ratures, beaucoup de ponctuation. La beauté des manuscrits, c’est comment Benveniste questionne et se questionne dans l’inachevé, le virtuel, le hasardeux même, par un bout de note, le relevé ou la liste (c’est son côté typologiste-structuraliste, daté : noms/adjectifs, temps verbaux, etc.) ; comment il lutte à sortir de son temps et des catégories apprises de la culture et des savoirs en recommençant parfois les mêmes phrases – des propositions, au sens non pas de propositions de syntaxe mais de propositions de pensée, ici. Et sans y parvenir vraiment.
Et puis aussi : que Baudelaire lui est fondamentalement un problème. Voir le constant parallèle avec Mallarmé : celui-ci par la phrase-page du Coup de dés ou la phrase-chant des Poésies va notamment à revers de la grammaire ; il écrit « au défi de ». Alors que l’auteur des Fleurs du Mal, il l’observe, pas un mot qui ne soit dans le dictionnaire ; une syntaxe lisible ; une versification encore très classique ; sa poésie ressemble à la langue commune (ce qui efface au demeurant le polyphonique, le statut de l’ironie, etc.) Mais c’est ici même : il y a dans ce qui ressemble au commun quelque chose de « radicalement spécifique » qui ne relève pas du registre du sentiment et devrait être démontrable à ses yeux. Ce faisant, Benveniste met le doigt sur le continuum ordinaire-poétique. Sans voir absolument que cela pulvérise sa constante distinction « langue poétique » / « langue ordinaire » (et ses amalgames, ordinaire = prose, etc.), qui est aussi un effet d’époque.