Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

vendredi 16 décembre 2016

MANIÈRE DE KEROUAC

Il m’amuse après Koltès, Michaux, Guillevic, Beckett, non des moindres, d’essayer de prendre la notion au versant anglo-canadien / franco-américain, chez Jack Kerouac, La Vie est d’hommage (éd. Jean-Christophe Coutier, Boréal, Montréal, 2016, p. 53). Emploi inséparable de la langue « natale » de l’écrivain, à l’ouverture de « Les travaux de Michel Bretagne (La Nuit est ma femme) Feb. ´51) : « J’ai pas aimé ma vie. C’est pas la faute a personne, c’ainque moi. Je voué ainque la tristesse tout partout. Bien des foi quand y’a bien du monde qui ri moi j’wé pas rien droll. C’est encore bien plus droll quand ils sont toute triste ensemble. […] Moi j’use ma tristesse—et c’est la tristesse d’un vieu chien avec des gros yeux mouiller—pour passer mon temps penser. C’est comme ça j’comprends vivre. C’est ma manière. Sh’u fatiguer. Je sais seulement pas comment m’expliquer sans mentir un peu. Mais j’nécrirai pas si j’aimra pas mon prochain diner, i.e., la vie. » Entre oralité et graphie (la ponctuation anglaise – les tirets), la manière s’y révèle aussitôt inséparable du geste d’écrire (et ce qu’il affecte de la qualité générique du texte, « m’expliquer sans mentir un peu ») comme du fait de « vivre » (soutenu prosodiquement par l’écho passer/penser). Avec sa tension propre entre le modal, « comment » relayé par « comme ça » et l’emploi absolu, « ma manière » – irréductible singularité d’être et de dire (par opposition à « bien du monde » ou « ils » / « ensemble »), qui retrouve l’histoire complexe du mot. Oui, maître Jojo, ça complique bien des regards sur bien des œuvres de la modernité…