En cours de relecture
sur Corbière. Œuvre presque unique, et excentrée. Ce qu’il convient d’appeler « le
poème en 1873 » (pas simplement la poésie) d’abord, lecture par
l’historicité, tensions au même titre qu’Une saison en enfer, la composition carcérale de Romances sans paroles, et Le Coffret de santal, une modernité
invisible par sa rareté et sa marginalité éditoriales pendant que les écrits
parnassiens dominent (et s’arrière-gardisent). Cette question est actée par
l’historiographie littéraire, même si Corbière a du mal à s’affranchir de
l’ombre. Déception des travaux en ce domaine, exception faite de Lunn-Rockliffe,
Tristan
Corbière and the Poetics of Irony (2006, Oxford University Press),
qui, débordant par ailleurs ses objectifs, pose d’emblée que l’ironie participe
d’une « aesthetic
of defamiliarization » (p. 1) ; et si je cite la dernière page, les termes
du débat y sont devenus classiques, irony vs lyricism, en phase avec une mise en crise du « coherent Romantic subject » – ce qui, ainsi
énoncé, est pour partie discutable – et « the fragmented modern subject » (p. 219). Voir la mise au
point avec Bertrand Degott (dir.) : La Corde bouffonne, Études françaises, n. 51-3 (Presses de l’université
de Montréal, 2015). Ce qui m’importe plus, c’est par le « ça »,
assertif puis interrogatif, qui ouvre déictiquement le recueil, les enjeux
attachés à la manière innommée et innommable : « — Mais, est-ce du
huron, du Gagne, ou du Musset ? // — C’est du… mais j’ai mis là mon humble nom
d’auteur ». Ils passent par une contre-rhétorique à Baudelaire dans « Fleur
d’art » et le modèle gravé de la manière noire ; ils se revendiquent de
Callot avec « Gens de mer » : le paradigme longuement décliné
(et matérialisé par la satire, la caricature, etc.), de la déformation et de la
difformité, le « honteux monstre de livre » (« À Marcelle »).
Le concentré physique en est la bosse et le « Bossu bitor » et son
éthique du peuple. Le corps s’énonce à partir du ragoût et du dégoût, il s’enracine
dans l’articulation raison-goût-génie depuis la préface de Cromwell, il appartient à l’histoire
de « ceux qui merdRent » en littérature depuis Baudelaire, Hugo,
Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, Laforgue, les fumistes, Jarry, etc. : un travail
critique de dévaluation et de contre-valeurs dont témoigne le titre du second
recueil projeté après Les Amours jaunes : Mirlitons. Écrire de travers, cela tient encore à la rime coups :: dégoûts du « Renégat ».
Corbière, c’est avant tout cette poétique du coup – mot-signature de l’œuvre, dont la surchage
ponctuationnelle n’est qu’une dimension. Le coup, ça fait aussi un phrasé.