Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 22 décembre 2016

LE COUP POÉTIQUE


En cours de relecture sur Corbière. Œuvre presque unique, et excentrée. Ce qu’il convient d’appeler « le poème en 1873 » (pas simplement la poésie) d’abord, lecture par l’historicité, tensions au même titre qu’Une saison en enfer, la composition carcérale de Romances sans paroles, et Le Coffret de santal, une modernité invisible par sa rareté et sa marginalité éditoriales pendant que les écrits parnassiens dominent (et s’arrière-gardisent). Cette question est actée par l’historiographie littéraire, même si Corbière a du mal à s’affranchir de l’ombre. Déception des travaux en ce domaine, exception faite de Lunn-Rockliffe, Tristan Corbière and the Poetics of Irony (2006, Oxford University Press), qui, débordant par ailleurs ses objectifs, pose d’emblée que l’ironie participe d’une « aesthetic of defamiliarization » (p. 1) ; et si je cite la dernière page, les termes du débat y sont devenus classiques, irony vs lyricism, en phase avec une mise en crise du « coherent Romantic subject » – ce qui, ainsi énoncé, est pour partie discutable – et « the fragmented modern subject » (p. 219). Voir la mise au point avec Bertrand Degott (dir.) : La Corde bouffonne, Études françaises, n. 51-3 (Presses de l’université de Montréal, 2015). Ce qui m’importe plus, c’est par le « ça », assertif puis interrogatif, qui ouvre déictiquement le recueil, les enjeux attachés à la manière innommée et innommable : « — Mais, est-ce du huron, du Gagne, ou du Musset ? // — C’est du… mais j’ai mis là mon humble nom d’auteur ». Ils passent par une contre-rhétorique à Baudelaire dans « Fleur d’art » et le modèle gravé de la manière noire ; ils se revendiquent de Callot avec « Gens de mer » : le paradigme longuement décliné (et matérialisé par la satire, la caricature, etc.), de la déformation et de la difformité, le « honteux monstre de livre » (« À Marcelle »). Le concentré physique en est la bosse et le « Bossu bitor » et son éthique du peuple. Le corps s’énonce à partir du ragoût et du dégoût, il s’enracine dans l’articulation raison-goût-génie depuis la préface de Cromwell, il appartient à l’histoire de « ceux qui merdRent » en littérature depuis Baudelaire, Hugo, Verlaine, Rimbaud, Lautréamont, Laforgue, les fumistes, Jarry, etc. : un travail critique de dévaluation et de contre-valeurs dont témoigne le titre du second recueil projeté après Les Amours jaunes : Mirlitons. Écrire de travers, cela tient encore à la rime coups :: dégoûts du « Renégat ». Corbière, c’est avant tout cette poétique du coup – mot-signature de l’œuvre, dont la surchage ponctuationnelle n’est qu’une dimension. Le coup, ça fait aussi un phrasé.