« Bonjour Arnaud… »
C’est ainsi qu’il m’écrit par courrier consulaire, en me
vantant les bénéfices d’une adhésion au nouveau courant politique qu’il incarne
depuis qu’il s’est démis de ses fonctions de Ministre de l’Économie, de l’Industrie
et du Numérique auprès du Président de la République française. Il m’arrive de
perdre mes anciens repères rhétoriques, contractant peu à peu d’autres manières
et habitudes, un sens différent des conventions linguistiques et sociales. Aussi
ai-je d’abord cru à un simple vocatif nord-américain, avant d’en reconsidérer le
registre explicite de proximité et de familiarité. Du reste, la parole s’installe
d’emblée dans la vox populi, l’effet dicton : « Loin des yeux… mais jamais
loin de la France ». Car c’est bien la distance géographique et affective
qu’il s’agit de combler en exhibant l’intérêt incontestable que l’homme de
pouvoir porte à ses concitoyens, tous sans exception, fussent-ils les plus éloignés
du territoire. Et le tract décline comme il se doit le paradigme de l’identité,
contextuellement chargé par le débat public au sein de l’Hexagone, sous l’espèce
ici d’un savoir partagé et consensuel : « Car je sais qu’on ne se
sent jamais autant Français(e) que lorsqu’on est loin de la France ». Avec
ce génial relais prosodique, à fonction strictement expressive, entre « sais », « se sent » et « Français ». Si par hasard je ne sors pas convaincu de ce discours, à celui-là, me dis-je, les grandes écoles de la République auront au moins appris à dûment
manier l’allitération. Au nom de cette appartenance irréductible,
qui tient du credo ou de la prière, je devrais donc avoir à cœur moi aussi de « changer
notre pays » sans toutefois « le faire ressembler aux autres nations »,
l’important étant de « préserver ce qui fait notre différence ». L’étrange
façon, négative et soustractive, de se définir ! Si la différence en
question n’est guère précisée, ce n’est pas qu’il serait trop long et
fastidieux de l’exposer, on lui trouvera toujours des arguments, mais bien parce
qu’elle va de soi, se logeant dans l’âme de chacun. À ce stade de la lecture, il faut faire
preuve d’honnêteté cependant. Sans être dupe de telles caresses, j’aime qu’on m’honore
de la sorte, et qu’on flatte mes oreilles de vieux canasson, pour mieux rire du
prétendant à la chevauchée. Car ce dernier craint par-dessus toutes choses les
inerties et les blocages de la société contemporaine et, brandissant le slogan « en
marche ! », annonce qu’il convient d’enfin « entrer dans le XXIe
siècle » dont jusque-là j’avais l’obscur et naïf sentiment qu’il avait
déjà commencé. L’essentiel serait de « bouger » cet élément à valeur
strictement connotative ou évocatoire : le « vieux système » que
reconnaîtraient sans peine électeurs de gauche et de droite afin de le réformer,
si l’on devait reprendre l’un des idéologèmes majeurs de notre temps. Du reste,
le verbe bouger serait ici l’illustration trop vraie, presque simple et caricaturale, du concept et des
théories de Pierre-André Taguieff. En l’occurrence, l’ancien ministre compte en
plus de mon aide sur le privilège du regard, celui de l’émigré, de l’expatrié,
de l’exilé, etc. : « depuis votre poste d’observation ». De là, en
effet, il me serait possible de conclure à l’image de l’éloquent politique et sans doute « mieux
que tout autre » que « nous n’y
sommes pas encore » dans ce XXIe siècle. Ainsi s’esquissent sur un mode feutré la
tentation comparatiste entre la situation européenne, spécialement celle de la France,
puissance moyenne et déclinante à cause de ces mêmes inerties, et
le double modèle états-unien/canadien, mais plus encore l’attraction inavouable
pour des économies et des sociétés généreusement libérales qui sont entrées, il va sans dire, dans le nouveau siècle. De ce même poste, il nous
est dit finalement que nous venons de vivre « chez nos plus proches voisins » (il n'y a qu'eux, à vrai dire, les emblématiques orignaux, plus au Nord, ne comptent pas) une
semaine d’élections qui « a déjoué tous les pronostics » alors qu’en France
« tout reste à construire ». La Trumpland ne sera donc l’objet d’aucune célébration, d’aucune
condamnation, et cette prudence rusée réserve l’équilibre des ambiguïtés.
À bien lire néanmoins, il s’énonce un désir – « rien n’est encore joué » – comme Trump, lui, a « déjoué » : un désir comparable à l’issue inattendue de la récente
campagne, comparable à la victoire des droite et extrême-droite américaines. Ainsi que me le souffle un ami, amateur de
homards et des côtes du Maine, y scrutant souvent la ligne la plus sombre de l’existence :
« Ils envient tous Trump, en fin de compte… »
« Cher
Emmanuel… » Thank you for asking.