Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

mardi 15 novembre 2016

TRACT LU LONGITUDINALEMENT

« Bonjour Arnaud… »
C’est ainsi qu’il m’écrit par courrier consulaire, en me vantant les bénéfices d’une adhésion au nouveau courant politique qu’il incarne depuis qu’il s’est démis de ses fonctions de Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique auprès du Président de la République française. Il m’arrive de perdre mes anciens repères rhétoriques, contractant peu à peu d’autres manières et habitudes, un sens différent des conventions linguistiques et sociales. Aussi ai-je d’abord cru à un simple vocatif nord-américain, avant d’en reconsidérer le registre explicite de proximité et de familiarité. Du reste, la parole s’installe d’emblée dans la vox populi, l’effet dicton : « Loin des yeux… mais jamais loin de la France ». Car c’est bien la distance géographique et affective qu’il s’agit de combler en exhibant l’intérêt incontestable que l’homme de pouvoir porte à ses concitoyens, tous sans exception, fussent-ils les plus éloignés du territoire. Et le tract décline comme il se doit le paradigme de l’identité, contextuellement chargé par le débat public au sein de l’Hexagone, sous l’espèce ici d’un savoir partagé et consensuel : « Car je sais qu’on ne se sent jamais autant Français(e) que lorsqu’on est loin de la France ». Avec ce génial relais prosodique, à fonction strictement expressive, entre « sais », « se sent » et « Français ». Si par hasard je ne sors pas convaincu de ce discours, à celui-là, me dis-je, les grandes écoles de la République auront au moins appris à dûment manier l’allitération. Au nom de cette appartenance irréductible, qui tient du credo ou de la prière, je devrais donc avoir à cœur moi aussi de « changer notre pays » sans toutefois « le faire ressembler aux autres nations », l’important étant de « préserver ce qui fait notre différence ». L’étrange façon, négative et soustractive, de se définir ! Si la différence en question n’est guère précisée, ce n’est pas qu’il serait trop long et fastidieux de l’exposer, on lui trouvera toujours des arguments, mais bien parce qu’elle va de soi, se logeant dans l’âme de chacun. À ce stade de la lecture, il faut faire preuve d’honnêteté cependant. Sans être dupe de telles caresses, j’aime qu’on m’honore de la sorte, et qu’on flatte mes oreilles de vieux canasson, pour mieux rire du prétendant à la chevauchée. Car ce dernier craint par-dessus toutes choses les inerties et les blocages de la société contemporaine et, brandissant le slogan « en marche ! », annonce qu’il convient d’enfin « entrer dans le XXIe siècle » dont jusque-là j’avais l’obscur et naïf sentiment qu’il avait déjà commencé. L’essentiel serait de « bouger » cet élément à valeur strictement connotative ou évocatoire : le « vieux système » que reconnaîtraient sans peine électeurs de gauche et de droite afin de le réformer, si l’on devait reprendre l’un des idéologèmes majeurs de notre temps. Du reste, le verbe bouger serait ici l’illustration trop vraie, presque simple et caricaturale, du concept et des théories de Pierre-André Taguieff. En l’occurrence, l’ancien ministre compte en plus de mon aide sur le privilège du regard, celui de l’émigré, de l’expatrié, de l’exilé, etc. : « depuis votre poste d’observation ». De là, en effet, il me serait possible de conclure à l’image de l’éloquent politique et sans doute « mieux que tout autre » que « nous n’y sommes pas encore » dans ce XXIe siècle. Ainsi s’esquissent sur un mode feutré la tentation comparatiste entre la situation européenne, spécialement celle de la France, puissance moyenne et déclinante à cause de ces mêmes inerties, et le double modèle états-unien/canadien, mais plus encore l’attraction inavouable pour des économies et des sociétés généreusement libérales qui sont entrées, il va sans dire, dans le nouveau siècle. De ce même poste, il nous est dit finalement que nous venons de vivre « chez nos plus proches voisins » (il n'y a qu'eux, à vrai dire, les emblématiques orignaux, plus au Nord, ne comptent pas) une semaine d’élections qui « a déjoué tous les pronostics » alors qu’en France « tout reste à construire ». La Trumpland ne sera donc l’objet d’aucune célébration, d’aucune condamnation, et cette prudence rusée réserve l’équilibre des ambiguïtés. À bien lire néanmoins, il s’énonce un désir – « rien n’est encore joué » – comme Trump, lui, a « déjoué » : un désir comparable à l’issue inattendue de la récente campagne, comparable à la victoire des droite et extrême-droite américaines.  Ainsi que me le souffle un ami, amateur de homards et des côtes du Maine, y scrutant souvent la ligne la plus sombre de l’existence : « Ils envient tous Trump, en fin de compte… »
« Cher Emmanuel… » Thank you for asking.