Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

jeudi 1 juillet 2021

CRT OU LA MISÈRE DE LA PENSÉE

    Le « primer » de Richard Delgado et Jean Stefancic, 3e édition, NYU Press, 2017. Auteurs consacrés. Au terme de la démonstration, et à titre strictement prospectif, l’utopie d’être « the new civil rights orthodoxy » (p. 157). De fait, si la CRT se situe dans la continuité des Civil Legal Studies et de la critique de la loi comme fiction – héritage de Marx (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comme fiction théorique au service de la classe bourgeoise) – elle tourne explicitement le dos à la version MLK Jr (selon la formule célèbre : content of character vs color of their skin) et à l’universalisme-libéralisme (en tête, le principe de la color blindness) des Civil Rights années 60. Dans cette critique,  la confusion entre lordre des faits et lordre des valeurs. Et de nouveau la grammaire des bonnes intentions : oui, la critique de la situation constitutionnelle post-Crow, la dénonciation des conservative backlashes depuis les années 80, la violence des lois d’immigration, le mur USA-Mexique, les stratégies de promotion linguistique et culturelle contre le English-only movement, les résistances aux rejets des Ethnic Studies, l’exemple des stratégies politiques de l’état de l’Arizona, etc. ; puis sur les concepts majeurs, des approximations et même des débandades douteuses : « Japanese » ou « Mexican » donnés comme exemples de « races » alors qu’on parle au mieux ici d’identités nationales ; « a white feminist may also be Jewish » (p. 10) – preuve s’il en est que le phénotypique et le biologique commandent la lecture, et il convient de démêler l’ethnique du religieux dans ce cas précis – et le nec plus ultra : « In one era, Muslims are somewhat exotic neighbors who go to mosques and pray several times a day » (id.). Sauf que « Muslims » n’est pas une catégorie dite raciale mais religieuse. Et à moins d’une erreur de ma part, « Arab » n’est jamais mentionné dans le livre – « Muslims » est par contre répété. On se demande qui est le véritable responsable des amalgames entre les populations arabes (elles-mêmes très diverses) – victimes en effet de préjugés et de ciblages haineux après 9-11 – et les musulmans (représentés au Moyen-Orient comme en Inde, plus largement en Asie et en Afrique). Autre glissement : contre l’« antiblack prejudice », le rappel que les Européens ont pu avant l’avènement de l’esclavage avoir une attitude plus positive à l’égard de la « civilisation » africaine : « Indeed, North Africans pioneered mathematics, medecine, and astronomy long before Europeans had much knowledge of these disciplines » (p. 21)… Mais ce ne sont pas tant les populations noires ici que le Maghreb et plus largement le monde arabo-musulman, son rôle historique et culturel déterminant. Misère de la pensée.