Du « travail sur
soi », attaché au « ce que » de l’inconnaissance, que poursuit en
guise de dialogue intérieur, ouvert et relancé, fragmentaire et inachevé, l’auteure
de Ce que fait un angliciste (http://journaldetravail2008.blogspot.ca),
plusieurs blocs critiques se détachent qui mériteraient d’être détaillés et
argumentés.
III. Blocs
- L’Anglais comme l'une de ces « autres disciplines flottantes, non
disciplinaires, combinaisons ad hoc ». Chez
moi, il ne règne pas les
mêmes traditions certes ; mais, pour des motifs sans doute différents, des
incertitudes analogues en fait de domaine et de ses délimitations, le flou
doublé d’une perplexité accrue quant aux objectifs et aux méthodes. Le salut
par l’histoire littéraire. L’appel aux disciplines sœurs ou voisines, pour trouver
du soutien (histoire et sociologie, philosophie et esthétique) et cerner une
spécificité dont on considère que le moment structuraliste, en l’énonçant, l’a
aussi laissé échapper. Il y a eu Lanson et la « Troisième République des
Lettres » dont certains seraient tentés de raviver le modèle. Comme ailleurs
la « langue littéraire » et Ferdinand Brunot replacé à l’horizon de
la modernité épistémologique. Sous couvert de « crise », le Trendy fait dans le Rétro. Et comme tous les effets de mode, ça
plaît. J’en retiens uniquement que les « combinaisons ad hoc », si elles
sont l’expression d’un point de vue tenu, peuvent être inventives et novatrices.
Le côté « flottant », c’est aussi leur chance, la possibilité d’un
avenir. Être mouvantes, surgir ou intervenir là où on ne les attend pas.
- Le manque ou simplement
la rareté « des ambitions
larges de recherche, ambitions scientifiques, qui a pu faire entreprendre les
Grands Travaux du 19e, etc. Dictionnaires, grammaires, mythologies, histoires
panoramiques, immenses dépenses de synthèse et de collecte de matière et d’analyse
en unlikely myriads ». Et le corrélat obligé face à de tels modèles :
« les idéologies de la totalité et du positif, etc. » Le dernier en
date qui en découle historiquement a été les structuralismes. Il me semble que
le propos vise juste sur ce point précis que la défection, le reflux, le
ballotement de nos disciplines, en position défensive, sinon fréquemment réactionnaire
(s’accrochant aux acquis glorieux du passé, et agitant alors quelque prétendue essence,
alors qu’elles n’ont au mieux qu’une historicité, ce que leur rappelle la
précarité à laquelle les soumettent les « gouvernances » d’établissements
ou les États), résident précisément dans cette absence de projet unificateur et
mobilisateur, bref : dans une absence d’utopie propre au savoir, comme on le dit en politique,
et spécialement à gauche, et pour les gauches. Ensuite, que cette utopie se
décline ou non de nouveau sous l’espèce d’une totalité est un autre problème. On
aura été avertis. On ne peut plus faire comme si. La seule nuance qui
mériterait d’être jointe à un tel diagnostic, c’est qu’en dépit de ce déficit
de projet mobilisateur, l’époque a malgré tout les richesses de ses
dispersions, de ses pluralisations, de ses ramifications qui contiennent, il
est vrai, des mouvements aveugles.
- « “Théorie”.
Intéressant que la notion n’ait plus la caution intellectuelle qu’elle a eue au
moment de la formation ; j’ai maintenant à la tenir en analyse, m’en
soucier, la soutenir, et m’en expliquer. Effet intéressant de génération. »
Elle était déjà en déperdition lorsque je commençai la mienne dans les années
90. Sa situation est très sensible à la place que lui réserve le public
étudiant aujourd’hui, qui y voit au mieux un lieu de rigueur – les mathématiques
de la littérature, pour user d’un raccourci ou d’un stéréotype – au pire d’indigestes
Digests ou d’encombrants Course
Packs, dont l’intérêt, l’application,
la rentabilité pour leurs propres objets demeurent trop souvent opaques. Dans
les faits, la perspective majoritairement empruntée par les doctorants est monographiste.
En outre, j’ai conscience qu’un tel mot se complique au plan disciplinaire :
pour un angliciste, le terme français est porté par « Theory »
(et « After Theory » pour reprendre T. Eagleton) ; j’ai
conscience que la situation nord-américaine notamment diverge sur bien des
points de la situation française (voire européenne). Il reste que l’effet est
lisible au plan institutionnel : la théorie se fait
moins qu’elle ne s’enseigne ou qu’on en enseigne l’histoire, les noms, les
concepts, les méthodes, etc. Il est manifeste que sa propre inflexion n’est pas
sans rapport avec ce fait que « la “littérature” est de plus en plus mise
à distance, dans son histoire, son action historique en tant que concept,
ramificateur d’une pratique sociale internationale impressionnante,
civilisationnelle », dès lors que c’est par l’une qu’on renouvelle les
points de vue sur l’autre – qu’on la fait aussi vivre et agir – ceci contre le préjugé tenace à son endroit.