À
circuit fermé, l’entretien, plutôt "casual", porte sur la vie des signes, et un signe en
particulier. S’agissant de signes, c’est évidemment de la vie en société qu’il est
également traité, plus exactement d’une micro-société et de son commerce
interne.
Le logo de McGill est une armoirie.
Trouvez-vous qu'il repose sur une conception archaïque ou qu'il permet, au
contraire, de maintenir une certaine tradition nécessaire à la passation du
savoir ?
Difficile
de répondre sans considérer les termes mêmes de la question – et sans les
inverser aussitôt. Ce n’est pas le logotype qui est une armoirie mais
l’armoirie qui est devenue un logotype, c’est-à-dire dans son usage originel l’enseigne même d’une boutique, la boutique contemporaine du savoir que représente
aujourd’hui l’université dans ses multiples versions nord-américaines,
européennes, asiatiques. Une institution qui, loin d’accomplir sa mission
critique, est de plus en plus asservie aux États, au marché et aux intérêts de
groupes financiers et industriels.
Afficher le logo de
McGill, sur un sac ou un chandail, trouvez-vous que c'est une fierté bien
placée ? Pensez-vous que le fait de porter le nom d'une institution sur un
vêtement est un contrat tacite entre les deux parties qui se représentent l’une
l’autre ?
Sans
refaire les analyses intelligentes de Jean Baudrillard, Le Système des objets et La
Société de consommation, qui datent mais ont aussi fait date, il convient
seulement de rappeler que l’acheteur ne s’inscrit pas si simplement dans une
économie matérielle, celle des biens. Le circuit dont il est question, au cœur
de n’importe quel deal ordinaire, y
est simultanément celui de la consommation et de la jouissance de signes
inséparables des objets monnayés. En ce sens, le sac ou le chandail équivalent
à tous les autres items de même substance, et sont par conséquent permutables
ou substituables. Seule l’estampille sacrée (mcgilloise ici) permet de les
distinguer, et leur donne une valeur singulière apte à transcender leur
fonctionnalité d’origine. Mais s’ils sont uniques, étant porteurs d’un sceau
qui est moins celui du savoir que du marketing, ils sont en même temps sériels,
puisqu’ils sont destinés à une production à de multiples exemplaires.
Pensez-vous que la coutume du port de l’emblème
peut empêcher de prendre conscience du discours affiché lorsqu'il devient si
commun dans une collectivité que certaines personnes l'arborent sans même se
soucier d'en comprendre la signification ? Est-ce que cela pose un problème ?
À
l’écart de tout critère psychologique, (« conscience » ou
« fierté »), l’important est de souligner que, de l’armoirie au
logotype, on n’a jamais quitté le champ du sémiotique.
Or le propre d’un signe est qu’il demande d’être d’abord identifié avant d’être
compris. Et il n’est pas absolument nécessaire qu’il le soit pour fonctionner
comme signe. En l’occurrence, ce signe ne s’impose pas dans l’immédiat par ses
significations héraldiques, ni celles de la légende (In Domino Confido) ou de la devise (Grandescunt Aucta Labore). Il participe plus largement à un effet
de « vitrine », par ailleurs bien répandu dans le monde universitaire
nord-américain comme preuve d’une histoire, d’une longévité, d’une tradition,
variables selon les établissements, l’Ivy
League en tête. Le signe obéit
d’abord à un principe de reconnaissance – la signature d’une institution, –
marque oppositive et différentielle en face d’autres emblèmes, qui prend
ultimement la valeur de notoriété évoquée plus haut. Ensuite, à voir ce qui
n’est jamais que perçu, il n’échappe à personne que la rigueur graphique des
motifs (déclinés pour le curieux dans la section « Coat of Arms » du site de l’université, http://www.mcgill.ca/about/intro/mission) repose sur le principe de la bitonalité
chromatique (dont ce rouge, impossible à confondre avec les carrés du même nom,
brandis dans la rue, il y a quelque temps…), à laquelle se combinent
d’évidents effets de symétrie (les trois sommets de la montagne et les trois martlets, les deux couronnes distribuées
de chaque côté de l’« open
book » et de sa double page, etc.). Mais, au final, la question n’est
peut-être pas tellement de décrire le
signe que de considérer ce dont il tient lieu. Bien entendu, chacun mesurera
l’état présent de cette université à sa devise comme à sa mission. Toutefois, l’essentiel
est de préciser, spécialement à l’intention de celles ou ceux qui comprennent
inversement trop bien ce signe et s’en font d’abord un instrument de
distinction (de l'idéologie du prestige aux usages sociaux du snobisme), en lui accordant un pouvoir sacré pour
en tirer les bénéfices, que ce n’est pas l’institution ainsi symbolisée qui
fait les individus mais bien les individus qui font d’abord l’institution – ce
qu’elle devient.
Trouvez-vous une
contradiction dans le fait que cette institution ait pour mission l'enseignement
et que les ventes du bookstore soient
aussi élevées grâce aux produits dérivés à l'effigie de McGill ?
Ce
ne serait pas la première ni la seule contradiction. Si je puis me
permettre : comme le temps, sign is
money. Je serais très heureux d’avoir les chiffres exacts de ces ventes. Ce
serait l’occasion réjouissante de faire l’inventaire des contrats passés avec
les entreprises localisées dans le Tiers-Monde, Bangladesh, Chine ou autres,
qui servent à assurer la fabrication de ces produits dérivés.