Ces papiers d'Amérique(s) sont aussi à leur manière les papiers d'un jour.

Un journal, peut-être ? Un carnet, plus sûrement. Des notes et des impressions. Des textes gouvernés par la circonstance. Improvisés quand il faut. Mal écrits souvent, à la hâte ou sur le vif.

D’une intention encore mal éclaircie. Ils (se) cherchent moins quelque patronage littéraire qu'à découvrir cette intention.

Des papiers, encore. Drôle de matière. Moins emblème que dissonance, lorsqu’on les mesure à leurs ponctuations numériques. Il arrive toutefois qu'ils s’accordent avec le sens qu'ils possèdent en langue anglaise. Ils (re)deviennent alors une catégorie du discours.

Ce sont généralement plutôt des brèves, des citations ou des gloses. Des bouts d'expérience, qui deviennent par accident métaphores. Des morceaux d'actualité. Et pour tout dire, les digressions y occupent le centre.

Les dates qui leur répondent, aléatoires ou affectives, ne tiennent elles-mêmes que de fendre un peu des événements de nature très diverse, intimes ou publics, quelconques - incertains.

Pour l'essentiel, tout y est vu d'ici.

lundi 21 octobre 2019

LA FORCE EXACTE

Traversées lagarciennes – jusqu’au Pays lointain. De nouveau, dans Du luxe et de l’impuissance, cette très belle page qui ramasse en quelque sorte la démarche d’écriture, l’humilité de l’entreprise littéraire et dramatique – c’est-à-dire l’exercice de la lucidité par l’auteur sur sa propre pratique d’abord : « raconter le Monde, ma part misérable et infime du Monde, la part qui me revient, l’écrire et la mettre en scène » (p. 41). Et cette précision capitale plus loin : « Montrer sur le théâtre la force exacte qui nous saisit parfois, cela, exactement cela, les hommes et les femmes tels qu’ils sont, la beauté et l’horreur de leurs échanges et la mélancolie aussitôt qui les prend lorsque cette beauté et cette horreur se perdent, s’enfuient et cherchent à se détruire elles-mêmes, effrayées de leurs propres démons. » (id.) L’expression centrale tient à cette « force exacte », celle qui habite et fait les sujets. Ce pourrait être aussi la meilleure définition de ce qu’est un personnage de théâtre. Il y a plus : ce que « exact » et « exactement »  marqueurs récurrents de l’œuvre ont en commun avec le je-ne-sais-quoi et l’indicible – cet essentiel évité, contourné, tenté, difficilement circonscrit – qui n’a d’autre nom que « ça » ou « cela » et ce couplage est constant dans les pièces, il en devient un tic d’écriture. Mais il a trait à ce qui indéfiniment suscite cette parole, laquelle s’auto-corrige, se reprend, se détourne et se retourne, en défaut comme en excès d’elle-même, apte à déterminer les uns comme les autres à se taire, à écouter et à échanger.